Rechercher sur le site

La nouvelle Politique agricole commune 2023-2027 : des politiques agricoles enfin alignées sur la politique de l’Union dans le domaine de l’eau ?

Décryptage

Louise Le Gall Marie-Lou Burvingt

peBIF9jpwio-unsplash_800

Par Louise Le Gall et Marie-Lou Burvingt

Relu par Vadim Jeanne, docteur en droit public, Université Paris-Saclay

Le 21 mars 2023, le Ministère de l’Agriculture a fait publier au Journal Officiel l’arrêté détaillant les “critères de conditionnalité” (autrement dit les conditions) du versement des subventions accordées au titre de la Politique agricole commune (PAC) en France, pour cette année. Ainsi, les subventions attendues par les agriculteurs ne leur seront versées que si ceux-ci remplissent certains critères, dont une partie relative au respect de l’environnement et de la ressource aqueuse.

A l’aune du contexte de sécheresse hivernale, il a été reproché à l’ancienne PAC, de ne pas assez tenir compte de la Directive Cadre Eau (DCE) de l’Union Européenne de 2000. Si l’agriculture est tributaire de l’approvisionnement en eau, elle est également, selon ses modalités, la principale cause de pollution et de diminution de la ressource en eau. Ainsi, dans son rapport n°17/2020 intitulé Water and agriculture: towards sustainable solutions, l’Agence européenne pour l’environnement (AEE) indiquait que l’agriculture est responsable de 24 % des captages d’eau dans l’UE. Bien que cette quantité d’eau captée ait diminué depuis 1990, les pressions qu’elle exerce sur le milieu menacent les écosystèmes. Avec ces nouveaux critères, la PAC 2023-2027 opère-t-elle donc un “renouv-eau” ?

Les lacunes de la précédente PAC

Un rapport spécial de la Cour des Comptes européenne (CCE) de 2021 pointe la politique agricole de 2014-2020 comme ne respectant pas les engagements européens en matière d’utilisation durable de l’eau. Ceux-ci figurent notamment dans la DCE (2000/60/CE), dont l’objectif est de garantir un bon état quantitatif de toutes les masses d’eau souterraines d’ici à 2027. Autrement dit, les prélèvements opérés sur la ressource ne doivent pas faire baisser le niveau des eaux souterraines au point d’entraîner une détérioration trop grave de ce niveau. En 2015 cependant, l’état quantitatif d’environ 9 % des eaux souterraines dans l’Union Européenne était considéré comme médiocre. Ce n’est pourtant qu’à partir de 2020 que les objectifs stratégiques de la PAC ont inclus l’utilisation durable de l’eau.

Une tarification de l’eau insuffisamment dissuasive voire encourageant la consommation d’eau

Et même ces objectifs ne seraient pas suffisants. Ainsi, il est d’abord reproché à ces objectifs de prévoir trop de dérogations dans le cas de l’agriculture. Celles-ci limiteraient l’effet protecteur des systèmes de tarification et d’autorisation préalable de captage d’eau, prévus aux articles 9 et 11 § 3 e de la DCE. L’objectif d’inciter les différents usagers (y compris les agriculteurs) à user de la ressource de manière raisonnée et de garantir une récupération adéquate des coûts des services liés à l’utilisation de l’eau, ne peut être atteint pour cause d’absence d’effet dissuasif de la tarification. En effet, contrevenant au principe de pollueur-payeur, les exploitants agricoles se voient accorder des tarifs insuffisamment dissuasifs et même dégressifs (allant de 1,5 à 6,7 fois moins élevé), et cela même dans des zones de stress hydrique comme le bassin hydrographique Loire-Bretagne. Dans plus de la moitié des pays et régions étudiés, il n’était demandé de payer le captage d’eau qu’à partir d’un certain volume (10 000 m3/an en France). Bien que la DCE conditionne l’autorisation d’exploitation de la ressource aqueuse à l’inscription obligatoire sur un registre national, là encore trop d’exceptions étaient permises.

En l’absence d’un contrôle obligatoire sur la réalité du prélèvement opéré par l’agriculteur, ce dernier pouvait abuser de la ressource. L’obtention d’une autorisation d’exploitation ainsi que le paiement d’un prix n’étaient pas non plus nécessaires en dessous de certains volumes. C’est pourquoi la Commission européenne estime que la mise en œuvre de la DCE ne progresse que trop lentement. Elle était, en effet, déjà parvenue à de telles conclusions après avoir évalué les performances de la directive entre fin 2017 et mi-2019 (EU Water Legislation – Fitness Check). Les principales causes de ces importants retards constatés à l’époque, découlaient de lenteurs, de financements insuffisants et d’une intégration insuffisante des objectifs environnementaux dans les politiques sectorielles.

Des aides aux cultures très consommatrices d’eau

Ensuite, les paiements directs opérés par la PAC au profit des agriculteurs n’encourageaient pas réellement une utilisation plus rationnelle de l’eau : pas ou peu de conditionnalité, ce qui conduisait l’Union européenne à subventionner des cultures nécessitant de grandes quantités d’eau telles que le riz, ou d’autres plantes, au risque d’accroître la pression sur les ressources en eau. En plus, est déplorée dans le rapport spécial de la Cour des Comptes européenne précédemment évoqué, l’absence d’un contrôle suffisant par les Etats membres, du respect de la conditionnalité qui aurait pu décourager tout captage illégal de l’eau.

Enfin, si la modernisation des systèmes d’irrigation existants ou l’installation de nouvelles infrastructures, permises par les aides, a pu conduire à une utilisation plus rationnelle de l’eau, dans la majeure partie des cas, les gains d’efficacité ne permettent pas toujours à une économie globale de la ressource en eau, qui est réutilisée à d’autres fins agricoles telles que l’irrigation de cultures plus consommatrices d’eau ou d’une zone plus vaste. Ainsi, l’économie initiale d’eau conduit paradoxalement à une plus grande consommation globale.

La Cour des comptes européenne encourage ainsi la Commission à demander des justifications et des preuves de l’utilisation rationnelle de l’eau, avant de verser les aides.

Une nouvelle PAC « reverdie » : vers un alignement sur la politique de l’Union en matière d’eau ?

Dotée d’un budget de 287 milliards d’euros, la PAC prévue pour 2023-2027 entend donner davantage d’autonomie aux Etats membres par le biais de Plans Stratégiques Nationaux (PSN). A travers ces plans, les Etats membres devront détailler l’usage qu’ils font des subventions européennes. Ils feront l’objet d’un contrôle tous les six mois par Bruxelles afin de s’assurer de leur conformité avec les objectifs européens d’ici à l’horizon 2030, à savoir une baisse de 55% des émissions de CO2, assortie d’une  division par deux de l’usage des pesticides, avec 25% des surfaces agricoles dédiées à l’agriculture biologique. 

Le “paiement vert”, qui était une aide financière directement versée aux agriculteurs récompensant les bonnes pratiques environnementales, est remplacé par les “éco-régimes”. Il s’agit de paiements dits “redistributif”, destinés aux exploitations à forte valeur ajoutée ou génératrices d’emplois, et qui s’ajoutent aux aides de base (accordés à tout agriculteur indépendamment du type de production agricole, à partir du moment où il détient une exploitation et exerce une activité agricole au sens de la PAC). Ces “éco-régimes” représentent désormais 25% du budget des paiements directs. Leur taux à l’hectare varie en fonction des pratiques agricoles (non-labour des prairies permanentes, diversification des cultures…), des certifications (agriculture biologique), ou du respect d’un pourcentage de leur surface en infrastructures écologiques (haies, jachères). Les députés européens ont également décidé l’octroi d’un minimum de 10 % des paiements directs à de petites et moyennes exploitations.Enfin, pour la première fois, le versement des aides dans le cadre de la PAC, est soumis au respect des règles minimales sociales européennes en matière de conditions de travail, de sécurité et de santé des travailleurs et d’utilisation d’équipements de travail. 

La France s’aligne… ou presque

La France a dévoilé le 21 mars dernier, la conditionnalité des aides PAC pour l’année en cours. Une partie des recommandations formulées précédemment semble alors avoir été intégrée, puisque la conditionnalité des aides est renforcée et centrée autour de neuf thèmes, notamment la protection des tourbières. Un contrôle du prélèvement en eau pour l’irrigation est désormais prévu, sanctionnant à hauteur de 5 % le taux de réduction des paiements des aides PAC pour les agriculteurs ne pouvant justifier leur consommation.

Cependant, des doutes subsistent sur l’efficacité de ces critères. L’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (un service du ministère de l’environnement) s’est montrée très critique dans un avis le 20 octobre 2021 sur le PSN. Selon elle, il ne permettra pas d’atteindre les objectifs environnementaux français pour 2030 puis qu’elle affirme que « le constat de l’évaluation environnementale est celui d’un “infléchissement notable” des moyens du PSN visant à répondre aux grands enjeux de l’environnement par rapport à la précédente période de la PAC, mais d’une grande incertitude sur les incidences environnementales de l’activité agricole et d’une conviction que la trajectoire tracée par le futur PSN ne rejoindra pas d’ici 2030 celle de la stratégie nationale bas carbone (SNBC), ni celle du plan biodiversité, ni celle de la directive cadre sur l’eau (DCE). »

Ainsi, la nouvelle PAC est censée devenir plus verte, plus équitable, et renforcer la position des agriculteurs dans la chaîne d’approvisionnement tout en stimulant la compétitivité du secteur agroalimentaire. Vaste programme dont on attend les résultats concrets sur le niveau global des eaux douces européennes. A ce stade déjà, de nombreuses voix doutent du changement.