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Le « One ocean summit » : quand l’Union européenne met du bleu dans le vert

Décryptage

Maria Castillo

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Par Maria Castillo, Maître de conférences à l’Université de Caen Normandie

A l’initiative de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, un sommet international sur l’Océan s’est tenu à Brest du 9 au 11 février 2022[1]. Durant les trois jours du sommet, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, mais également la commissaire aux transports ; le commissaire à l’environnement, aux océans et à la pêche ; et la commissaire à l’innovation, à la recherche, à la culture, à l’éducation et à la jeunesse ont présenté les efforts déployés par l’Union pour garantir la conservation de l’Océan. Tel un prélude aux diverses négociations multilatérales qui en 2022 seront consacrées aux océans, le sommet a permis à l’Union, « en tant que puissance maritime »[2], d’affirmer son rôle de chef de file en matière de protection de l’Océan. Dans les quatre principaux axes du sommet : biodiversité et conservation ; pollution marine ; océans et changement climatique ; et recherche, l’Union a présenté ses diverses initiatives.

La protection de la biodiversité et de la conservation de l’Océan

La protection de la biodiversité et de la conservation de l’Océan ont été au cœur des discussions. Après avoir rappelé que « L’Océan est vulnérable…[et] menacé par nos méfaits »[3], la présidente de la Commission européenne a annoncé la création d’une coalition “de la haute ambition pour la haute mer[4], confirmant ainsi le rôle de chef de file de l’Union en matière de conservation des ressources marines mondiales. Réunissant les 27 États membres de l’Union, ainsi que 16 États tiers[5], cette coalition doit faciliter la conclusion d’un accord sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale. En effet, la zone de la haute mer qui est située au-delà de la juridiction nationale, représente 95 % des océans or, si elle offre d’importants avantages écologiques et socio-économiques, elle est également vulnérable aux menaces telles que la pollution, la surexploitation, ou les effets du changement climatique. Un projet d’accord international sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine des zones de la haute mer, dit BBNJ[6], est en négociation depuis 2018 sous l’égide de l’ONU[7]. Une quatrième session de négociations, programmée en mars 2022 devrait permettre son adoption et sera l’occasion pour la nouvelle coalition “de la haute ambition pour la haute mer”, de tester son pouvoir d’influence, avant la conférence des Nations unies sur les océans, prévue pour juin 2022.

Par ailleurs, le commissaire européen, responsable des océans et de la pêche[8], a également rappelé les efforts déployés par l’Union pour sauvegarder des écosystèmes fragiles des pôles, notamment par le biais de la création de zones marines protégées en Antarctique, telle que celle créée en Mer de Ross, grâce aux efforts conjugués de l’Union Européenne, des États-Unis, de la Chine et de la Russie. Il a en outre souligné que l’Europe, en tant que cinquième producteur mondial de produits de la mer sauvages et d’élevage (devant les États-Unis et la Russie) avait la responsabilité d’utiliser les ressources marines de manière judicieuse et durable. A cet égard, depuis 2010, l’Union a mis en œuvre un ensemble de mesures destinées à prévenir et éradiquer la pêche illicite non déclarée et non règlementée (INN), qui représente « l’une des menaces les plus graves pesant sur l’exploitation durable des ressources aquatiques vivantes »[9]. Dans ce cadre, l’Union collabore avec les États membres, l’Agence européenne de contrôle des pêches (AECP), les États tiers et tout autre organisme permettant de recenser les navires de pêche soupçonnés de pratiquer la pêche INN.

La pollution marine

La pollution marine est une problématique indissociable de toute réflexion portant sur la protection de l’Océan. Pour ce deuxième axe du sommet, l’Union a pu faire valoir que, si depuis plusieurs années elle lutte contre les déchets sauvages dans le milieu marin[10], en 2021 une étape essentielle a été franchie avec l’entrée en vigueur de la directive sur les plastiques à usage unique[11]. Le texte, qui doit permettre la suppression des déchets marins au sein de l’Union, établit des règles relatives à l’élimination graduelle de nombreux articles en plastique à usage unique, ainsi qu’à la collecte d’engins de pêche perdus en mer. Pour lutter contre la pollution marine, l’Union plaide également en faveur de la conclusion d’un accord international sur les matières plastiques, qui constituerait la seule réponse efficace à long terme au problème mondial que représentent les déchets marins. Le lancement d’éventuelles négociations, sur cette question, a été examiné lors de la cinquième Assemblée des Nations unies pour l’environnement qui s’est tenue à Nairobi (Kenya) du 28 février au 2 mars 2022. Celle-ci a permis l’adoption d’une résolution « historique »[12] visant à mettre fin à la pollution par les plastiques et à élaborer un accord international juridiquement contraignant d’ici la fin 2024[13]. La résolution porte sur l’ensemble du cycle de vie du plastique, y compris sa production, sa conception et son élimination.[14] Par ailleurs, conjointement avec l’ONU et un ensemble d’organisations de la société civile, l’UE sensibilise activement la population à cette question, à travers par exemple les campagnes #EUBeachCleanup – qui chaque année mobilisent des dizaines de milliers de bénévoles pour collecter des déchets sur les plages et le long des voies navigables[15].

Le changement climatique

Le changement climatique affectant l’équilibre des écosystèmes marins, un troisième axe du sommet, lui a donc été consacré. Dans ce cadre, l’exécutif européen a notamment abordé la question de la réduction de l’empreinte carbone et de la transition vers un transport maritime à émissions nulles.Le transport maritime est « stratégique »[16] pour les économies européennesor, « de nos jours…[il] repose presque entièrement sur des combustibles fossiles très polluants. Pour atteindre le niveau zéro, nous devrons développer un écosystème de carburants entièrement nouveau dans lequel des carburants renouvelables et à faible teneur en carbone sont produits, distribués et utilisés par les opérateurs maritimes »[17]. Pour espérer voire naviguer des navires zéro-émissions à l’horizon 2030, il faut donc aider le marché des carburant « propres ». Tel est le but de la proposition de règlement européen « FuelEUMaritime »[18] qui fixe, pour les navires, des obligations précises et progressives afin d’accroître la part de carburants renouvelables et bas carbone dans le bouquet énergétique du transport maritime international. Par ailleurs, la législation européenne sur les énergies renouvelables[19], ainsi que la proposition de règlement sur le déploiement d’une infrastructure pour carburants alternatifs[20], devraient permettre aux ports de mettre à la disposition des navires un approvisionnement suffisant en électricité pour le ravitaillement à quai[21]. Enfin, l’extension du système d’échange de quotas d’émission (SEQE) de l’UE au secteur maritime[22] inclura les émissions provenant du transport maritime dans le plafond global et sera un encouragement complémentaire en faveur de la décarbonation. C’est ce modèle que l’Union promeut auprès de ses partenaires internationaux, comme l’Organisation maritime internationale[23].

La recherche

Pour contribuer à la gouvernance de l’Océan, il faut mieux le connaitre ; c’est pourquoi la Commission européenne a annoncé le développement d’une plateforme de simulation numérique des océans : la plateforme européenne Digital Twin Ocean[24]. La plateforme, qui place l’Union à l’avant-garde du numérique des recherches océaniques, vise à créer un « jumeau numérique » des océans. Elle verra le jour grâce à l’utilisation de différentes capacités et infrastructures européennes, telles que les satellites du programme Copernicus et les infrastructures marines, notamment les brise-glace, les bouées et les drones sous-marins. Digital Twin Ocean doit offrir une meilleure connaissance du milieu marin, qu’il s’agisse de phénomène tels que la fonte des glaciers ou la montée des eaux. Cette plateforme qui garantira un accès ouvert et entièrement libre aux données devrait être opérationnelle à l’horizon 2024. C’est également lors du One Ocean Summit que la présidente de l’exécutif de l’Union a annoncé le lancement d’une mission de recherche, destinée à restaurer les océans et les milieux aquatiques d’ici à 2030. L’océan joue un rôle central dans les objectifs du Green deal pour l’Europe, dès lors la mission ambitionne de protéger 30 % des mers de l’UE en 2030, en partie avec l’extension des zones Natura 2000[25].

Conclusion

Les menaces qui pèsent sur l’Océan sont aujourd’hui multiples, qu’il s’agisse du changement climatique, de pollutions ou de surexploitations des ressources marines. Pour l’exécutif européen, tout comme pour les autres participants au sommet, le One Ocean summit a été l’occasion de définir des priorités et de prendre des « engagements »[26] qui restent à concrétiser. La dynamique créée à Brest semble toutefois avoir porté ses premiers fruits lors de la cinquième Assemblée des Nations Unies pour l’environnement avec l’établissement d’un comité intergouvernemental de négociations en vue de l’adoption d’un accord mondial juridiquement contraignant sur la pollution plastique. La Conférence des Nations Unies sur l’Océan prévue à Lisbonne en juin 2022 et la Cop27 qui sera organisée par l’Egypte à l’automne 2022 seront l’occasion pour l’Union de confirmer son action en faveur de l’Océan.


[1] 41 pays ont participé au sommet : Allemagne, la Barbade, Canada, Chine, Chypre, Colombie, Comores, Congo, Corée du Sud, Costa-Rica, Côte d’Ivoire, Croatie, Égypte, Espagne, États-Unis, France, Gabon, Ghana, Grèce, Inde, Irlande, Islande, Italie, Japon, Madagascar, Malte, Maroc, Mexique, Monaco, Namibie, Norvège, Palaos, Panama, Papouasie-Nouvelle Guinée, Portugal, Royaume-Uni, Sénégal, Seychelles, Tanzanie, Tonga, Tunisie.

[2] https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/speech_22_962

[3] Speech by President von der Leyen at the One Ocean Summit, Brest, France, 11 February 2022, SPEECH/22/962

[4] Ref. Ares(2022)107868 – 07/01/2022

[5] En date du 11 février 2022 : Australie, Canada, Chili, Colombie, Comores, Égypte, Inde, Monaco, Maroc, Norvège, Pérou, République du Congo, Singapour, Suisse, Togo, Royaume-Uni.

[6] Biodiversity Beyond National Jurisdiction

[7] A /RES/72/249 du 19 janvier 2018

[8] Virginijus Sinkevičius, commissaire européen responsable des Océans et de la Pêche : Which Europe of the Sea? Workshop – One Ocean Summit, 10 février 2022, SPEECH/22/950

[9] Règlement (CE) n°1005/2008 du Conseil du 29 septembre 2008 établissant un système communautaire destiné à prévenir, à décourager et à éradiquer la pêche illicite, non déclarée et non réglementée, modifiant les règlements (CEE) n° 2847/93, (CE) n°1936/2001 et (CE) n°601/2004 et abrogeant les règlements (CE) n°1093/94 et (CE) n°1447/1999, OJ L 286, 29.10.2008, p. 1–32

[10] Règlement (CE) no 1224/2009 du Conseil du 20 novembre 2009 instituant un régime de l’Union de contrôle afin d’assurer le respect des règles de la politique commune de la pêche, modifiant les règlements (CE) no 847/96, (CE) no 2371/2002, (CE) no 811/2004, (CE) no 768/2005, (CE) no 2115/2005, (CE) no 2166/2005, (CE) no 388/2006, (CE) no 509/2007, (CE) no 676/2007, (CE) no 1098/2007, (CE) no 1300/2008, (CE) no 1342/2008 et abrogeant les règlements (CEE) no 2847/93, (CE) no 1627/94 et (CE) no 1966/2006 (JO L 343 du 22.12.2009, p. 1).

[11] DIRECTIVE (UE) 2019/904 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 5 juin 2019 relative à la réduction de l’incidence de certains produits en plastique sur l’environnement, JOUE L 155/1 du 12.6.2019.

[12] https://news.un.org/fr/story/2022/03/1115462

[13] https://www.unep.org/news-and-stories/press-release/historic-day-campaign-beat-plastic-pollution-nations-commit-develop

[14] UNEP/EA.5/L.23/Rev.1, 2 March 2022, Draft resolution : End plastic pollution: Towards an international legally binding instrument

[15]One Ocean Summit: new steps strengthen EU leadership in protecting theOcean
Brest, France, 11 February 2022, European Commission – Press release IP/22/843

[16] Adina Vălean, commissaire européenne aux transports – Discours One Ocean Summit – Forum sur les corridors verts maritimes – 10 février 2022. SPEECH/22/943

[17] Virginijus Sinkevičius, commissaire européen responsable des Océans et de la Pêche : Which Europe of the Sea ? Workshop – One Ocean Summit, 10 février 2022, SPEECH/22/950

[18] Proposition de RÈGLEMENT DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL relatif à l’utilisation de carburants renouvelables et bas carbone dans le transport maritime et modifiant la directive 2009/16/CE COM/2021/562 final

[19] DIRECTIVE (UE) 2018/2001 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL, du 11 décembre 2018 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables, (refonte) JOUE, L 328/82, du 21.12.2018

[20] Proposition de RÈGLEMENT DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL sur le déploiement d’une infrastructure pour carburants alternatifs et abrogeant la directive 2014/94/UE du Parlement européen et du Conseil, COM/2021/559 final

[21] Adina Vălean, commissaire européenne aux transports, Transition verte des villes portuaires pour un développement durable – Brest, France, le 10 février 2022, SPEECH/22/974

[22] Proposition de directive du Parlement Européen et du Conseil, modifiant la directive 2003/87/CE établissant un système d’échanges et de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans l’Union, la décision (UE) 215/1814 concernant la création et le fonctionnement d’une réserve de stabilité du marché pour le système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre de l’Union et le règlement UE/2015/757 COM (2021) 551 final

[23] Adina Vălean, commissaire européenne aux transports, One Ocean Summit – Forum sur les corridors verts maritimes – Brest, France, le 10 février 2022, SPEECH/22/943

[24] La Commission européenne investit 13 millions d’euros pour développer le jumeau numérique. Cet investissement vient compléter le projet Iliad (INTEGRATED DigitaL Framework FOR Comprehensive MARITIME DATA AND INFORMATION SERVICES), d’un montant de 19 millions d’euros, financé dans le cadre du Green Deal.

[25] https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/speech_22_962

[26] « Les engagements de Brest pour l’Océan », in https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2022/02/11/les-engagements-de-brest-pour-locean