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L’initiative de la Commission européenne pour reformer la directive criminalité environnementale, un véritable tournant ?

Décryptage

Ornella Insalaco

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Par Ornella Insalaco, Juriste

Le 15 décembre 2021, la Commission européenne a publié une proposition de Directive afin de réformer la Directive 2008/99/EC relative à la protection de l’environnement par le droit pénal du 19 novembre 2008. S’inscrivant dans le cadre du Green Deal, les négociations de cette initiative législative ont commencé pendant la Présidence française du Conseil de l’Union européenne[1].

La mutation des formes de la criminalité environnementale face à une directive peu efficace

La directive du 19 novembre 2008 a harmonisé pour la première fois les législations pénales des États pour protéger l’environnement.

Afin de veiller aux effets de cette législation dans les États membres de l’Union européenne (UE), la présidence finlandaise du Conseil de l’UE a initié en 2019 des évaluations de la Directive 2008/99/EC[2]. Il ressort de ces évaluations[3] que la Directive n’a pas atteint les résultats souhaités car d’une part, les dispositions ne sont pas assez dissuasives et d’autre part, des divergences importantes subsistent dans les législations des États. En tout état de cause, la criminalité environnementale nécessite une réponse européenne forte du fait de son caractère grave et transfrontalier.

En plus de ce bilan peu concluant, la mutation des menaces à laquelle est exposé le vivant a justifié une réflexion sur une réforme du droit pénal européen de l’environnement. Les rapports scientifiques[4] mettent en évidence, d’année en année, l’urgence toujours plus croissante d’agir pour limiter les effets des activités anthropiques sur la biosphère. Les changements climatiques, la perte de la biodiversité, l’appauvrissement des sols, la raréfaction des ressources en eau sont autant de phénomènes qui rapprochent la dépendance de l’Homme et de l’environnement et invite par conséquent à rapprocher les législations nationales pour répondre aux défis globaux grandissants. Dans le même temps, la multiplication des formes de criminalités environnementales met en péril la stabilité des écosystèmes et la stabilité de la sécurité. Les formes de criminalités environnementales les plus répandues au sein de l’UE sont les trafics de déchets, les trafics d’espèces sauvages, les délits de pollution de l’air et le commerce illégal de substances dangereuses[5]. Devenue une véritable activité lucrative, la criminalité environnementale permettant de réaliser des bénéfices élevés alors que les risques de détection sont faibles et les pénalités sont douces[6], finance également d’autres formes de criminalités, ainsi que les guerres[7].

Les évaluations de la Directive 2008/99/EC ont permis d’identifier certains problèmes afin de réfléchir à un nouveau texte. Tout d’abord, la divergence entre les législations nationales favorise l’exercice des activités criminelles dans les États où les législations sont les moins sévères. L’absence de clarification sur les relations entre les mesures pénales et les mesures administratives a pour conséquence le détournement des procédures pénales. Ensuite, de nombreux domaines de criminalités ne sont pas encadrés par la Directive 2008/99/EC car son champ d’application n’est pas prévu par des définitions d’infractions autonomes. Le champ d’application est défini par l’article 3 et le renvoi aux 72 normes européennes en Annexes qui n’ont pas été mises à jour depuis le 19 novembre 2008. Enfin, la Directive 2008/99/EC ayant été signée le 9 février 2007, avant la signature du Traité de Lisbonne le 13 décembre 2007, ne bénéficie pas de toutes les possibilités offertes par l’innovation du Traité en matière pénale et en l’occurrence de la détermination du type et du niveau de sanctions.

Dans cette perspective, la Commission européenne a envisagé plusieurs options pour réformer la Directive 2008/99/EC qui ont fait l’objet d’études d’impact[8]. L’initiative de la Commission du 15 décembre 2021 est le résultat de ces études.

La proposition de directive de la Commission européenne du 15 décembre 2021

La proposition de Directive du 15 décembre 2021 modifie tout d’abord le champ d’application de la Directive de 2008. Parmi les différentes études d’impact réalisées par la Commission, certains scénarios prévoyaient d’une part, que les annexes soient supprimées et d’autre part, que des infractions autonomes soient reconnues. Cette dernière hypothèse n’a pas été retenue.

La suppression des annexes permet de clarifier l’examen de la constitution de l’infraction, en définissant l’élément matériel des infractions à l’article 3, sans un renvoi aux normes en Annexe. La Proposition met à jour les domaines de criminalités encadrés par la Directive en y ajoutant par exemple le commerce illégal du bois, le recyclage illégal des navires, le prélèvement illégal d’eau causant des dommages importants aux ressources en eau, la mise sur le marché de produits causant des dommages substantiels à l’environnement. Cette nouvelle écriture a le mérite de supprimer le renvoi à plusieurs bases légales, mais l’énumération des domaines de criminalités demandera une grande vigilance pour mettre à jour régulièrement le champ d’application de la Directive. La criminalité environnementale s’adapte à l’évolution des sociétés et nécessite une législation résiliente. Lors de l’apparition de nouveaux phénomènes criminels, un vide juridique pourrait être identifié. S’agissant de l’élément moral, celui-ci reste inchangé en encadrant les comportements intentionnels ou commis par négligence grave.

Les évaluations de la Directive de 2008 avaient soulevé des difficultés d’interprétation pour des expressions telles que « les dommages substantiels » et « une quantité négligeable ». L’article 3 alinéa 3, alinéa 4 et alinéa 5 apporte des critères pour rapprocher le sens donné à ces expressions. De plus, les États doivent prendre en compte certains critères lors de la caractérisation de l’infraction tels que l’état de référence de l’environnement affecté, le caractère durable du dommage, la gravité, la propagation, la réversibilité.

Les négociations entre le Conseil de l’UE et le Parlement européen européen modifieront probablement les définitions des infractions proposées par la Commission afin qu’un accord soit trouvé entre les différentes parties.

Ensuite, la proposition de Directive affine les dispositions relatives aux « sanctions effectives, proportionnées et dissuasives ». S’agissant des personnes physiques, l’article 5 fixe les niveaux des sanctions pénales minimales et maximales applicables avec des peines d’emprisonnement. S’agissant des personnes morales, les sanctions peuvent être administratives ou pénales et le quantum des peines est proportionnel au chiffre d’affaires des entreprises, qui demeurent responsables en cas de défaut de surveillance ou de contrôle. Dans un souci de respect des traditions juridiques des États, la Proposition ne définit pas clairement les relations entre le droit administratif et le droit pénal. Sur cet aspect, la Proposition de Directive pourrait être davantage améliorée afin que la dissuasion caractéristique du droit pénal soit favorisée. Les États peuvent adopter des mesures complémentaires telles que la remise en l’état, l’exclusion temporaire aux financements publics, le retrait des permis et des autorisations d’exercer l’activité. Des circonstances aggravantes sont prévues à l’article 8 telles que la mort ou la blessure grave d’une personne, la destruction ou le dommage substantiel irréversible ou durable à un écosystème, le profit illégal de l’infraction et l’appartenance à une organisation criminelle. Ces ensembles de dispositions permettent d’adapter la sanction aux contextes comportemental et environnemental dans lesquels s’inscrivent la criminalité. Il convient de noter que bien qu’il ne soit pas reconnu en droit européen, l’écocide cité – uniquement – dans le Considérant 16 de la Directive constitue également une circonstance aggravante lorsque cette infraction est reconnue dans le droit national. Enfin, des circonstances atténuantes sont également prévues telles que la restauration de l’état antérieur ou la fourniture d’identification ou de preuves aux autorités compétentes.

Si un véritable effort de définition des sanctions harmonisé a été accompli par cette Proposition, une clarification des relations entre le droit pénal et le droit administratif pourrait permettre d’aboutir à une réponse davantage unifiée entre les États.

Enfin, la Proposition de Directive comprend de nombreuses dispositions visant à faciliter sa mise en application. Tout d’abord, l’article 11 prévoit des délais de prescriptions spécifiques afin qu’ils soient suffisants pour l’identification de l’infraction après sa commission. Ensuite, la Proposition renforce la protection de la société civile qui contribue à la lutte contre la criminalité environnementale. Enfin, la Directive demande aux États de prendre des mesures extra-pénales pour faciliter la mise en œuvre de la protection de l’environnement : la prévention doit être favorisée par la sensibilisation, la recherche, l’éducation. Les États doivent se doter des moyens nécessaires tels que la formation du personnel compétent, les ressources financières et techniques, des moyens d’investigation, de coopération et l’adoption de stratégies nationales de lutte contre la criminalité environnementale. La Commission accentue la veille de l’application de la Directive en demandant aux États de collecter et de publier des données statistiques afin qu’un Rapport soit publié régulièrement sur l’état de la lutte contre la criminalité environnementale.

Ces éléments permettent de conclure que la Commission recherche une réelle effectivité de la directive, c’est-à-dire que le droit produise les effets escomptés[9].

Les perspectives futures

Bien que la Commission européenne soit l’unique organe législateur de l’UE, la Proposition de Directive doit être discutée avec le Conseil de l’UE et le Parlement européen. Les trilogues ont donc commencé entre les États membres et les députés européens pendant la Présidence française du Conseil de l’Union européenne afin que des négociations aient lieu à Bruxelles et à Strasbourg.

Si la Proposition de Directive ne bouleverse pas les conceptions juridiques et préserve la diversité des traditions juridiques des États[10], les négociations sur une matière telle que le droit pénal, emblème de la souveraineté nationale, devrait durer un certain temps pour qu’un consensus soit trouvé dans l’objectif de concilier les États. Ainsi, si un accord n’est pas trouvé d’ici le 30 juin 2022, la République Tchèque sera l’héritière de la poursuite de la présidence des négociations sous sa Présidence du Conseil de l’UE.

Le Conseil de l’UE et le Parlement européen estimeront-ils que l’initiative de la Commission est à la hauteur de la hausse de la criminalité environnementale ?

Les évaluations de la Directive de 2008 ont montré qu’une harmonisation accrue des législations pénales est nécessaire pour éviter le forum shopping de cette criminalité grave et transfrontalière. Le droit pénal étant le vecteur des valeurs expressives d’une société, le rapprochement des législations est souhaité afin que la protection de l’environnement, dans un sens offensif de lutte contre les atteintes et dans un sens défensif de sauvegarde de l’existant, soit l’objet d’une réponse harmonisée entre les États de l’Europe unie.

Alors que la Proposition de Directive est discrète sur les mécanismes de coopération judiciaire et de coopération policière entre les États, une nouvelle piste de réflexion est ouverte avec l’éventuelle extension du champ de compétence du Parquet européen[11] à la criminalité environnementale[12]. L’évolution du droit pénal européen de l’environnement n’en est qu’à ses débuts.


[1] La présidence du Conseil de l’Union européenne est tournante, occupée tous les six mois par un État de l’Union européenne différent. Du 1er janvier au 30 juin 2022, la France préside cette institution européenne.

[2] Conseil de l’UE, Rapport final sur la huitième série d’évaluations mutuelles sur la criminalité environnementale, 15 nov. 2019.

[3] Par exemple, European Commission, Executive summary of the evaluation of DIRECTIVE 2008/99, Brussels, 28 oct. 2020.

[4] IPCC, Climate Change 2022, Impacts, Adaptation, and Vulnerability, Sixth Assessment Report, Working Group II, Summary for Policymakers, 27 fév. 2022.

[5] Eurojust, Report on Eurojust’s Casework on Environmental Crime, Criminal justice across borders, January 2021.

[6] La criminalité environnementale est estimée à environ 258 milliards USD par an et augmente de 5 à 7 % annuellement. Interpol and United Nations Environment Programme, The Rise of Environmental Crime – A Growing Threat To Natural Resources Peace, Development And Security, Report, 2016.

[7] Interpol, Environmental Crime and its Convergence with other Serious Crimes, Environmental Security, 2015/999/OEC/ENS/SLO, 30 oct. 2015, p. 3.

[8] European Commission, Inception Impact Assessment – Improving environmental protection through criminal law, Ref. Ares(2020)7247236, 1st dec. 2020.

[9] Au sujet de l’effectivité du droit de l’environnement, voir par exemple Prieur, M., Bastin, C., Mekouar, M. A., Mesurer l’effectivité du droit de l’environnement. Bruxelles, Belgique: Peter Lang Verlag. Retrieved Mar 9, 2022.

[10] Par exemple, l’Allemagne et l’Italie ne prévoient pas de sanctions pénales à l’encontre des personnes morales. Par conséquent, la Proposition de Directive ne détermine pas la nature des sanctions à l’encontre de ces personnes.

[11] Entré en fonction le 1er juin 2021, le Parquet européen est compétent pour protéger les intérêts financiers de l’Union européenne.

[12] Crimes contre l’environnement : un défi pour le parquet européen, Jean-Baptiste Jacquin, Le Monde, 17 janvier 2022. https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/01/17/crimes-contre-l-environnement-un-defi-pour-le-parquet-europeen_6109792_3224.html