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Le Say on climate, une arme efficace dans la lutte contre le changement climatique ?

Décryptage

Véronique Magnier

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Véronique Magnier,

Professeur à l’Université Paris-Saclay

Contexte

A l’heure où tombent les premières mesures gouvernementales sur la « sobriété énergétique »1 destinées à peser sur les consommateurs français, les actionnaires de grands groupes réclament plus de transparence sur la politique climatique des entreprises. Pour la deuxième année consécutive, plusieurs investisseurs ont demandé que l’assemblée générale des actionnaires soit consultée sur la stratégie « Climat » du groupe. Certains ne cachent pas leur ambition de voir cette pratique, dite du say on climate, se généraliser2.

Le say on climate consiste en une résolution mise à l’ordre du jour des assemblées générales (AG) des entreprises cotées, le vote portant sur la politique « Climat » de la société ou de son groupe. Une telle résolution peut être déposée par le conseil d’administration, au nom de la société, ou par ses actionnaires. Si, en pratique, ce furent d’abord quelques fonds « activistes » qui défrayèrent la chronique lors de la campagne des assemblées générales en 2020, les directions générales des grands groupes tels que Vinci, Atos et Total ont renchéri l’année suivante en portant une résolution « Climat », selon une formulation choisie3. Le vote étant purement consultatif, il n’a d’autre but que d’assurer un dialogue régulier avec les actionnaires sur les questions climatiques, ce qui n’est pas sans rappeler le say on pay d’avant la loi Sapin 24. En arrière-plan de ces débats, l’enjeu n’en est pas moins crucial, puisqu’il s’agit de faire entrer au cœur des AG d’actionnaires des sujets aussi complexes que l’impact des entreprises sur le changement climatique et tout particulièrement la disparition des combustibles fossiles (tels que le charbon, le pétrole et le gaz) produisant des gaz à effet de serre.

On comprend alors pourquoi, en dépit du fait qu’un avis (négatif mais non contraignant) n’aurait, pour l’heure, que peu d’impact, les entreprises les plus exposées à la critique opposent une forte résistance à cette nouvelle pratique. Au printemps 2022, le groupe TotalEnergies (ex-Total depuis l’AG mixte du 28 mai 2021) a refusé d’inscrire un projet de résolution porté conjointement par onze investisseurs, aux fins de modifier les statuts de la société par l’ajout d’une clause venant préciser le contenu du rapport de gestion établi par le conseil à l’attention de l’assemblée. Aux termes du projet de résolution, les statuts auraient prévu que le rapport de gestion inclurait « la stratégie de la société telle que définie par le conseil d’administration pour aligner ses activités avec les objectifs de l’Accord de Paris (…) en précisant un plan d’action avec des étapes intermédiaires ». Etaient notamment attendus des objectifs chiffrés de réduction des émissions de gaz à effet de serre dérivant des activités de la société. Face à ce refus d’ajouter une telle résolution – au motif, un peu suranné mais non moins exact, que le fameux arrêt Motte avait pu juger en son temps que le conseil d’administration disposait de « pouvoirs propres » exclusifs de ceux de l’AG (néanmoins souveraine selon le même arrêt)5 –, cinq investisseurs ont saisi l’AMF aux fins d’exercer son pouvoir d’injonction et d’obtenir de la direction du groupe qu’elle accepte le dépôt d’une résolution say on climate par les actionnaires6. Se déclarant incompétente, l’AMF a invité à porter l’affaire devant le tribunal de commerce, seul compétent selon l’autorité pour traiter d’une question de droit des sociétés.

Le say on climate agite désormais les esprits. Afin de lever le flou qui entoure cette pratique, il faut revenir aux bases du droit des sociétés et reconnaitre que le pouvoir de déterminer une stratégie sur le climat appartient bien au conseil d’administration. Aussi, une généralisation, voire un encadrement de cette pratique qui viendrait à donner un pouvoir de décision aux actionnaires, conduirait à réviser les équilibres de gouvernance. Mais au-delà des changements dans la répartition des pouvoirs que le say on climate peut entraîner, l’enjeu nous semble résider ailleurs, à savoir la question de savoir s’il aurait un réel impact sur les défis climatiques que les entreprises se doivent de relever.

Analyse

Une généralisation du say on climate risquerait sans doute de modifier le rôle respectif du conseil d’administration et de l’assemblée générale des grands groupes français.

Aux termes de l’article L. 225-35 du Code de commerce « le conseil d’administration détermine les orientations de l’activité de la société et veille à leur mise en œuvre, conformément à son intérêt social, en considérant les enjeux sociaux, environnementaux, culturels et sportifs de son activité ». C’est dans ce cadre qu’une stratégie Climat s’est peu à peu imposée comme un élément déterminant de la stratégie des grandes entreprises françaises. La loi NRE porte cette double responsabilité d’avoir redéfini le rôle du conseil d’administration de sociétés anonymes (SA), tout en dotant ceux de SA cotées d’un pouvoir spécifique en matière environnementale, résultat de la conjonction de deux règles portées respectivement par l’article 106 et 116 de la loi NRE. La première redéfinit les pouvoirs entre le Directeur général, le Président du Conseil d’administration (quand il est dissocié), et ce conseil. Si ce dernier n’a plus le pouvoir d’agir en toutes circonstances au nom de la société, désormais dévolu au seul DG, ce conseil conserve en propre la prérogative de déterminer l’orientation stratégique de la société (art. L. 225-35 Com). L’on retrouve la seconde disposition à l’article L. 225-102-1 du Code de commerce selon lequel le rapport de gestion des sociétés cotées « comprend également des informations… sur la manière dont la société prend en compte les conséquences sociales et environnementales de son activité ». Cette disposition s’est étoffée au gré des réformes7, jusqu’au décret n° 2017-1265 du 9 août 2017 transposant la directive européenne 2014/95/UE du 22 octobre 2014 (NFDR)8, lequel substitue au rapport dit « RSE » une déclaration de performance extra-financière pesant sur les conseils d’administration de sociétés de grandes tailles (art. L. 225-102-1, III C. com.9) et celles qui sont cotées (art. L. 22-10-36 C.com.)10. Désormais, «[d]ans la mesure nécessaire à la compréhension de la situation de la société, de l’évolution de ses affaires, de ses résultats économiques et financiers et des incidences de son activité, la déclaration … présente des informations sur la manière dont la société prend en compte les conséquences sociales et environnementales de son activité, apportant « notamment des informations relatives aux conséquences sur le changement climatique de l’activité de la société … [lesquelles] comprennent les postes d’émissions directes et indirectes de gaz à effet de serre liées aux activités de transport amont et aval de l’activité et sont accompagnées d’un plan d’action visant à réduire ces émissions, notamment par le recours aux modes ferroviaire et fluvial ainsi qu’aux biocarburants dont le bilan énergétique et carbone est vertueux et à l’électromobilité. ». Pour les sociétés cotées, en complément de ces informations, le rapport de gestion comprend en outre, notamment, « [d]es indications sur les risques financiers liés aux effets du changement climatique et la présentation des mesures que prend l’entreprise pour les réduire en mettant en œuvre une stratégie bas-carbone dans toutes les composantes de son activité » (art. L. 22-10-35 1° C. com). Le rapport de gestion constituant le support de cette information, il est permis d’affirmer que la stratégie « Climat » d’entreprise relève bien des pouvoirs propres du Conseil d’administration11.

Au gré des réformes, le conseil d’administration a réussi à fortifier la place de gardien d’un intérêt social, désormais élargi à l’aune de l’article 1833 du Code civil, réformé par la loi PACTE, et la détermination de la stratégie « Climat » de la société apparait bien relever d’un « pouvoir propre » de ce conseil. Sur le plan organisationnel, se structure d’ailleurs autour de cet organe de nouveaux comités, tel que le comité RSE, évolution soutenue par l’AMF dans son rapport sur le gouvernement d’entreprise 2022 (auquel une grande partie est dédiée à la RSE). Ainsi, l’autorité recommande que « lorsque le conseil d’administration inscrit une résolution climatique à l’ordre du jour de l’assemblée générale,… le comité RSE (lorsqu’il en existe un) y apporte, au préalable, une contribution, et que la société rende compte de cette contribution dans le document d’enregistrement universel »12. Elle recommande en outre de publier « des informations permettant aux investisseurs de comprendre précisément le rôle joué par le comité d’audit (ou l’organe qui en exerce les fonctions) dans l’élaboration de l’information extra-financière et dans l’évaluation des risques extra-financiers. Le comité d’audit devrait s’assurer (i) de la prise en compte de ces éléments dans les dispositifs d’élaboration et de contrôle de l’information extra-financière et (ii) de la cohérence entre les développements extra-financiers et financiers. En outre, avec l’entrée en application de la directive CSDR, précise l’AMF, le comité d’audit (ou l’organe qui en exerce les fonctions) devra s’assurer de la pertinence et de l’intégrité de l’information fournie au conseil en matière de RSE »13. La stratégie « Climat » relève bien du conseil, le say on climate servant la transparence et le dialogue avec les actionnaires.

Tel que pratiqué à l’heure actuelle, sans vote contraignant, le say on pay ne modifie pas réellement les équilibres de gouvernance, cette pratique faisant en quelque sorte écho aux dispositifs légaux. C’est d’ailleurs en ce sens que l’agence Proxinvest se prononce, ses nouvelles recommandations14 préconisant un vote consultatif sur les ambitions climatiques ou la stratégie climat définies sur des horizons moyen et long-terme, selon un rythme de trois à cinq ans. Le sujet des équilibres de gouvernance n’est pas discuté, l’objet étant simplement d’instaurer un dialogue (qui peut être ferme) sur un enjeu aussi crucial que le changement climatique.

L’expérience du say on pay n’est toutefois pas sans rappeler que le droit des sociétés ne se contente pas longtemps d’un droit mou qui repose sur cette anomalie juridique qu’est le vote consultatif. S’il fallait alors envisager la généralisation du say on climate, voire un say on climate contraignant, le changement serait plus radical, avec l’instauration d’un pouvoir partagé entre sociétés émettrices et actionnaires, ces derniers pouvant apporter leur lot d’exigences au regard de la stratégie « Climat », notamment pour deux raisons aisément compréhensibles.

D’abord, des efforts seraient à accomplir pour répondre aux attentes des investisseurs. Une étude réalisée par le forum des investisseurs responsables (FIR) dresse un premier bilan relativement mitigé pour les dix entreprises françaises qui ont organisé un say on climate en 2022. 93% de votes sont favorables à la stratégie « Climat » du groupe, mais, selon le forum, ses recommandations ne sont suivies qu’à hauteur de 49%. Un fort taux d’abstention (6% chez Total, 10,4% chez Engie, 26% chez Elis) semble par ailleurs indiquer que les investisseurs n’adhèrent pas vraiment à la politique « Climat » présentée par leurs émetteurs. On retient en outre de ce premier bilan la difficulté pour les entreprises à produire des éléments chiffrés et à s’engager sur ces chiffres, l’absence de réelle comparabilité, un manque important de transparence dans la partie prospective du reporting non financier, une insuffisance des méthodes employées et des moyens alloués.

On peut compter sur la directive (UE) 2022/2464 du 14 décembre 2022 modifiant le règlement (UE) n° 537/2014, et les directives 2004/109/CE, 2006/43/CE et 2013/34/UE en ce qui concerne la publication d’informations en matière de durabilité15, pour faire évoluer ces scores. En effet, venant réformer la directive 95/UE du 22 octobre 2014 (dite NFRD), cette nouvelle directive est supposée mettre sur un pied d’égalité le reporting financier et ce nouveau reporting qui se substitue à la déclaration de performance extra-financière, le rapport de « durabilité ». L’obligation de reporting sera étendue aux PME16 et devra permettre une analyse des données communiquées par le biais d’un contrôle tiers indépendant. On sait toutefois que cette transposition sera loin d’être aisée et prendra du temps. D’abord, parce que la directive intervient dans un droit positif très complexe, redondant et désordonné17. Ensuite parce qu’à son tour, elle introduit des éléments de complexité, laissant penser qu’il faudra du temps aux entreprises pour leur permettre de s’adapter et d’adopter concrètement l’ensemble du futur dispositif, au point qu’est prévue une entrée en vigueur progressive de ses mesures18. Un soin particulier devra donc être apporté à la transposition de la nouvelle directive CSRD19 qui sera sans doute l’occasion de réfléchir à la place qui pourrait être faite au say on climate. Si le rapport du Haut Comité juridique de la Place financière de Paris vient de publier son rapport sur les résolutions climatiques say on climate20, on n’est qu’au tout début du processus.

Ensuite, un profond changement devrait s’opérer chez les actionnaires institutionnels, à l’aune des nouvelles obligations de transparence que le règlement SFDR21 fait peser sur les institutions financières. Disposition de transposition de ce règlement, l’article 29 de la loi 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat réécrit l’article L. 533-22-1 du code monétaire et financier -et donc l’article 173-VI de la loi n°2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV)-. Selon ce nouvel article, « [d]ans leur politique relative aux risques en matière de durabilité, rendue publique en application de l’article 3 du règlement du Parlement européen et du Conseil sur la publication d’informations relatives aux investissements durables et aux risques en matière de durabilité et modifiant la directive (UE) 2016/2341, les sociétés de gestion de portefeuille incluent une information sur les risques associés au changement climatique ainsi que sur les risques liés à la biodiversité ». En complément, le décret d’application de cet article 29, publié le 27 mai 2021, précise aux acteurs de marché les informations à publier dans leur reporting extra-financier, sur la prise en compte dans leur politique d’investissement des critères environnementaux, sociaux et de qualité de gouvernance et sur les moyens mis en œuvre pour contribuer à la transition énergétique et écologique. La stratégie « Climat » des émetteurs va donc devoir s’harmoniser avec la politique « Climat » des investisseurs avec, de part et d’autre, la mise en place de stratégies (d’investissement ou de production) alignées sur les objectifs de long terme relatifs à leur contribution au changement climatique, c’est-à-dire les objectifs de l’Accord de Paris.

Le sort des émetteurs et des investisseurs étant désormais lié, le règlement SFDR devrait apporter son lot d’exigences à traduire concrètement dans la stratégie des sociétés émettrices. En effet, le choix des investisseurs est binaire : désinvestir ou s’engager. Dans son rapport « Energy and Climate change »22 publié en 2015, l’Agence internationale de l’énergie soulignait que, en raison du changement climatique, la valeur à risque du stock mondial total d’actifs gérables se situerait entre 4,2 et 43 000 milliards de dollars d’ici la fin du siècle. Autrement dit, « une grande partie de l’impact sur les actifs futurs se traduira par une croissance plus faible et des rendements d’actifs plus faibles dans tous les domaines » pénalisant les organisations qui investissent dans des activités qui pourraient ne pas être viables à long terme, qui risqueraient d’être moins résistantes à la transition vers une économie à faible émission de carbone, et leurs investisseurs auraient probablement des rendements inférieurs. Cet alignement imposé des stratégies entre émetteurs et investisseurs, combiné avec le tarissement progressif du financement des entreprises les moins engagées dans la transition vers une économie décarbonée, devraient rapidement conduire les émetteurs à faire évoluer leur stratégie « climat ».

Certes, un say on climate généralisé et contraignant serait sans doute vécu par les conseils d’administration comme une forme de perte d’influence, eux que la mise en place du say on pay avait déjà ébranlés dans leur pouvoir propre23. Mais une reprise en main des actionnaires sur la stratégie « Climat » n’est pas à exclure, d’autant que les réformes de l’Union européenne pourraient donner raison, à leur manière, à l’arrêt Motte, en considérant que l’AG reste un organe souverain. Reste toutefois la question du calendrier car, compte tenu de sa complexité, la mise en place du règlement SFDR prendra du temps24. Or il y a urgence, pour les sociétés, à modifier leur impact sur le changement climatique. Le say on climate peut-il accélérer le processus pour répondre à l’urgence des défis climatiques ?

Pour l’instant, sans plus attendre face à l’urgence écologique, d’autres parties prenantes s’emparent des questions climatiques avec bien plus de fermeté que les investisseurs. Elles s’en remettent directement à la justice, sur des fondements divers, pour contraindre les grands groupes à modifier drastiquement leur stratégie « Climat ».

Aux Etats-Unis (d’où, doit-on le rappeler, le say on climate est originaire), plusieurs Etats poursuivent les grands groupes pétroliers pour qu’ils cessent leur impact sur le changement climatique. L’Etat du Massachusetts reproche ainsi à Exxon d’avoir pratiqué pendant des décennies la stratégie du « déni climatique », utilisant le doute scientifique25 alors que les scientifiques d’Exxon dénonçaient des dommages climatiques irréversibles liés à l’activité du groupe26. En 2019, le procureur général du Massachusetts27 a enjoint la compagnie pétrolière à cesser de se livrer à des pratiques commerciales trompeuses, rendant une première décision, initiée par un Etat à l’encontre d’une entreprise de combustibles fossiles, pour écoblanchiment et tromperie du public. Plus récemment, deux grandes villes de l’Etat de Californie (San Francisco et Oakland) ont été autorisées à poursuivre cinq grandes compagnies pétrolières– BP, Chevron, Conoco, Exxon Mobil et Shell- devant un tribunal de l’État de Californie. Ces villes réclament des dommages et intérêts au motif que l’activité de ces compagnies a provoqué une élévation des températures et du niveau de la mer, entrainant des coûts de construction de digues. Ces dernières auraient trompé leurs clients sur leur impact sur le changement climatique, en s’engageant « dans des campagnes de publicité et de relations publiques à grande échelle et très sophistiquées, pour promouvoir l’utilisation généralisée de ces combustibles … [et les présenter] comme respectueux de l’environnement et essentiels au bien-être humain ». L’Europe connait des actions similaires, pour tromperie en matière environnementale et climatique28, contraignant les entreprises à refondre totalement leurs stratégies « Climat ».

En France, la loi sur le devoir de vigilance devrait également y contribuer. TotalEnergies est le premier groupe français à se voir reprocher l’insuffisance de son plan de vigilance, l’incohérence entre ses activités, ses engagements de respecter l’Accord de Paris et d’atteindre une neutralité en carbone d’ici à 2050-, et sa contribution au changement climatique29. Le plan de vigilance de BNPP est également l’objet de critiques d’ONG, considéré comme n’étant « pas conforme aux exigences de la loi sur le devoir de vigilance, ni aux obligations de limiter les risques climatiques résultant de [ses] activités »30.

Il est désormais acquis que les entreprises doivent abandonner les tactiques de désinformation31 minimisant le risque climatique, cesser de développer des stratégies de déni climatique en « fabriquant », à leur avantage, du doute. Mais il faut aller plus loin car les promesses sans lendemain, les engagements pour des objectifs vagues ou intenables sont aussi à proscrire. Si le say on climate peut tenir quelque promesse, il se devra d’être réellement efficace. Sur la base de recommandations produites par les émetteurs et/ou les investisseurs dans des codes de gouvernance ou recommandations de place, c’est assurément un dispositif ambitieux qu’il faudra mettre en place, sans attendre les délais de transposition européenne32 : exiger la fixation d’objectifs précis de réduction d’émission de gaz à effet de serre, garantir la fiabilité et la comparabilité des données chiffrées, prévoir des contrôles sur la pertinence de ces données ainsi que des sanctions efficaces33… Face à la lenteur désespérante de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, l’arme juridique ne devrait pas se limiter à de légers ajustements en matière de gouvernance, mais prendre très au sérieux la mise en danger de la stabilité climatique. Une nouvelle ère s’ouvre avec la Finance durable de l’Union européenne, qui pourrait apporter son lot de réponses au changement climatique. Par anticipation, un say on climate peut en accélérer le processus, à condition que les exigences soient à la juste mesure d’une telle urgence. Autrement, il ne serait qu’une goutte d’eau dans l’océan.


[1] Les Echos, « Electricité : les entreprises face aux menaces de coupure », 5 décembre 2022, pp. 18 à 20.

[2] V. infra.

[3] J.-M. Moulin évoque à cet égard un certain « machiavélisme » de ces groupes, in « Les entreprises face au défi (enthousiasmant) du risque environnemental », BJS, juil.-août 2021, p.6.

[4] Loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. Le « say on pay » renvoie à une double obligation pesant sur le conseil d’administration, visée aux articles L. 22-10-8 et L. 22-10-32 du Code de commerce, qui met à la charge des sociétés cotées de faire voter les actionnaires en AG sur la politique de rémunération des dirigeants et mandataires sociaux, et sur un vote ex post avant tout versement des rémunérations prévues.

[5] Figurant parmi les grands arrêts de la jurisprudence commerciale, l’arrêt MOTTE, rendu en 1946, pose qu’« il n’appartient (…) pas à l’assemblée générale d’empiéter sur les prérogatives du conseil en matière d’administration ». V. E. Schlumberger, « Les résolutions climatiques à l’épreuve du droit des sociétés », BJS juin 2020, p.1.

[6] A. Tehrani, « Résolutions climatiques : l’AMF, incompétente ? », BJS juil.-août 2022, p. 78.

[7] La loi du 12 juillet 2010, « Grenelle II », a largement étendu cette obligation : F. G. Trébulle, « L’environnement en droit des affaires », in Mélanges Guyon, Dalloz, 2003, p. 103 ; « L’investissement socialement responsable : quelques remarques sur une valeur montante de la gouvernance d’entreprise “ verte ”», in Magnier (dir.), La gouvernance des sociétés cotées face à la crise. Pour une meilleure protection de l’intérêt social, LGDJ, coll. « Droit des affaires », 2010, p. 263.

[8] Directive 2014/95/UE du 22 octobre 2014 modifiant la directive 2013/34/UE en ce qui concerne la publication d’informations non financières et d’informations relatives à la diversité par certaines grandes entreprises et certains groupes, OJL 15 nov. 2014, dite NFRD pour Non financial reporting directive.

[9] Les seuils actuels sont 500 salariés et 100 millions de chiffre d’affaires.

[10] Dans les sociétés cotées, les seuils légaux sont de 20 millions d’euros de total du bilan et/ou 40 millions d’euros de chiffre d’affaires et 500 salariés.

[11] Récemment, TotalEnergies a fait évoluer sa gouvernance pour renforcer la stratégie Climat long terme du groupe. Une direction Sustainability & Climate qui rapporte à la directrice générale Strategy & Sustainability, membre du Comex, coordonne l’action du groupe dans ce domaine. Un Comité de pilotage Climat-énergie a pour mission de structurer la démarche du groupe en matière de climat et en particulier de proposer des objectifs de réduction des émissions de GES pour les activités opérées par le groupe (réduction de l’intensité carbone des produits énergétiques utilisés par les clients; suivi des évolutions des marchés de CO2 existants ou en cours d’élaboration ; initiatives prises notamment avec des partenaires industriels sur de nouvelles technologies pour permettre la réduction des émissions de GES (efficacité énergétique, captage et stockage du CO2, par exemple)).

[12] AMF, Rapport sur le gouvernement d’entreprise, 2022, p.4.

[13] Ibid.

[14] Proxinvest, Recommandation 6.1 (2022) : « Les investisseurs ont initié depuis plusieurs années un dialogue actif avec les entreprises sur les enjeux de transition environnementale et, en réponse à ces dialogues, un nombre croissant d’émetteurs ont défini leurs stratégies ou ambitions climatiques ou encore leurs plans de décarbonation. De nombreux investisseurs demandent désormais que l’assemblée générale des actionnaires soit consultée sur ces stratégies climatiques

[15] JOUE, 16 décembre 2022.

[16] Seuil abaissé à 250 salariés, ce qui devrait concerner environ 50 000 sociétés au sein de l’UE, contre 11 700 actuellement.

[17] Haut comité juridique de la place financière de Paris (HCJP), Rapport sur les dispositifs de transparence extra-financière des sociétés, juillet 2022 p.4.

[18] La directive sera applicable à partir du 1er janvier 2024 pour les grandes entreprises d’intérêt public (de plus de 500 salariés) déjà soumises à la directive sur les déclarations extra-financières, avec des déclarations prévues en 2025 ; A partir du 1er janvier 2025 pour les grandes entreprises qui ne sont pas actuellement soumises à la directive sur les déclarations extra-financières (avec plus de 250 employés et/ou 40 millions d’euros de chiffre d’affaires et/ou 20 millions d’euros de total de bilan), avec des déclarations dues en 2026 ; À partir du 1er janvier 2026 pour les PME et autres entreprises cotées, avec des déclarations dues en 2027. Les PME peuvent s’abstenir jusqu’en 2028.

[19] Rapport HCJP, p.6

[20] https://www.banque-france.fr/sites/default/files/rapport_54_f.pdf

[21] Règlement (UE) 2019/2088 du Parlement Européen et du Conseil du 27 novembre 2019 sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers entré en application le 10 mars 2021, OJ L 317, 9.12.2019, p. 1.

[22] IEA/OECD, Energy and Climate change, https://iea.blob.core.windows.net/assets/8d783513-fd22-463a-b57d-a0d8d608d86f/WEO2015SpecialReportonEnergyandClimateChange.pdf

[23] Dossier « Le rôle respectif du conseil d’administration et de l’assemblée générale dans les sociétés anonymes », coord. Y. Paclot, Actes pratiques et ingénierie sociétaire, n°152, mars-avr. 2017.

[24] Lors de la présentation du rapport annuel le 18 mai 2022, le président de l’AMF de l’époque n’a pas caché que ce cadre européen sur la finance durable “est une source extrême de confusion”.

[25] Exxon a constitué un Groupe de Travail sur les dérèglements climatiques dans le monde à la fin des années 80 dont l’objectif était de mettre en échec toute politique publique susceptible de diminuer la production d’énergie fossile ou de réduire les émissions de CO2 de 20 %, et d’exiger des compagnies pétrolières qu’elles renoncent à des ressources extractibles.

[27] Ibid ; Adde Libération, 20 oct. 2021, « Changement climatique : Total savait et a « fabriqué » du doute ».

[28] V. not. J.-M. Moulin, préc., p.7.

[29] L’objectif de la plainte est double : exiger de TotalEnergies qu’elle publie un nouveau plan de vigilance intégrant des mesures permettant de s’aligner sur une trajectoire de réduction des GES et de la température compatible avec l’accord de Paris de 2016 ; ordonner la cessation progressive de toute exploitation d’hydrocarbures.

[30] BNPP a été mise en demeure pour financement aux énergies fossiles et sa réponse est attendue début 2023

[31] V. l’ouvrage de référence de l’historienne américaine, Naomi Oreskes, Les marchands de doute, 2012 ; traduction N. Oreskes et E. Conway, Merchants Of Doubt: How A Handful Of Scientists Obscured. The Truth On Issues From Tobacco Smoke To Global Warming,

[32] Le HCJP recommande d’attendre la directive européenne sur le devoir de vigilance (encore à l’état de proposition) pour prendre parti sur la dévolution à une autorité administrative d’un pouvoir de sanction des obligations édictées en matière de durabilité (rapport préc. HCJP, p.4), ce qui rend pour l’instant très aléatoire la mise en place d’un tel dispositif.

[33] Les dispositifs de transparence ont montré leur limite comme l’indique le rapport précité du HCJP (p.4) : « Le législateur utilise à la fois des mesures préventives qui consistent à faire vérifier l’exécution des obligations par un organisme tiers, une mesure corrective qu’est l’injonction et quelques sanctions stricto sensu. Les mesures préventives font intervenir une grande diversité d’acteurs chargés de contrôler une partie des informations extra-financières que la société est tenue de publier. Leurs missions varient selon l’objet de l’obligation. S’agissant des mesures correctives, l’injonction est l’instrument privilégié du respect des obligations imposées par les dispositifs. Les dispositifs relevant du Code de commerce sont assortis d’une injonction judiciaire visant à l’obtention d’une information, ou d’une injonction administrative, l’AMF pouvant procéder à des publications rectificatives ou complémentaires si les informations fournies sont incomplètes ou inexactes. Les dispositifs hors du Code de commerce octroient quant à eux un pouvoir d’injonction à divers acteurs (préfet, ADEME, AFA…). Les sanctions stricto sensu peuvent être administratives, elles sont alors prononcées par une grande diversité d’autorités. Quelques sanctions pénales subsistent également en cas de violation des dispositifs de prévention des risques extra-financiers, et certains dispositifs sont assortis quant à eux de sanctions civiles ».