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La délicate réforme de la taxation des produits énergétiques et de l’électricité confrontée au vote à l’unanimité

Décryptage

Elise Di Roio

La délicate réforme de la taxation des produits énergétiques et de l’électricité confrontée au vote à l’unanimité

Par Elise Di Roio
Doctorante à l’Université Jean Moulin Lyon 3

À l’occasion de la Journée de l’Europe, célébrée le 9 mai, le président Emmanuel Macron a exprimé son souhait de réformer les traités et d’étendre le vote à la majorité qualifiée à des domaines qui demeurent soumis à l’unanimité, dont celui de la fiscalité, chasse gardée des États membres. Treize États ont cependant désapprouvé une révision des textes qu’ils jugent prématurée[1].

Le vote à la majorité qualifiée faciliterait pourtant indubitablement la prise de décision en matière fiscale. Or, une telle réforme serait bienvenue car, dans le cadre du paquet législatif « Fit for 55 » du 14 juillet 2021, la Commission européenne propose de réformer la taxation européenne des produits énergétiques et de l’électricité[2] et elle est susceptible de rencontrer une forte opposition. Il suffit pour s’en convaincre de s’intéresser aux tentatives de taxation du carbone qui sont toutes restées lettre morte.

Des échecs multiples en matière de taxation du carbone

Tout d’abord, une première proposition présentée en 1992 taxait les émissions de carbone et l’énergie[3]. Malgré la mise en avant de son apparente neutralité, par le biais de compensations au travers de réductions d’impôts, et d’exonérations temporaires, la taxe dite Ripa di Meana fut rejetée[4].

À la suite du compromis d’Essen de 1994, une deuxième tentative survient en 1995 en modifiant l’ancienne proposition[5]. Désormais, le texte est plus souple, donnant aux États une marge de manœuvre plus grande. Il leur laisse en effet fixer librement les taux de la taxe au cours d’une période transitoire[6]. Cette réforme ne rencontra néanmoins pas le succès escompté.

L’Union européenne trouva finalement une alternative en instaurant une tarification du carbone émis par les installations de production d’électricité et de chaleur, par le biais de son système d’échange de quotas d’émissions[7]. Surtout, une harmonisation des accises sur les produits énergétiques et l’électricité fut mise en place et elle prévoit des taux minimaux de taxation. Celle-ci est sans grande surprise le fruit de compromis afin d’obtenir l’assentiment de tous les États, et les multiples possibilités ou obligations de différenciation des taux rendent l’ensemble très incohérent[8].

Cette harmonisation assez décevante en particulier sur le volet environnemental ne mit pas un terme à la volonté des institutions de mettre en place une écotaxe. Les commissaires s’attelèrent en 2005 à définir cette fois dans le domaine des transports« des règles pour le calcul des taxes applicables aux voitures particulières sur la base de leurs émissions de dioxyde de carbone »[9], qui auraient précisément concerné la taxe d’immatriculation et les taxes annuelles de circulation.

Enfin, de nouveau dans le domaine de l’énergie, une proposition de réforme de la directive de 2003 fut soumise en 2011, dans le but d’adapter cette dernière aux nouveaux objectifs énergétiques et climatiques de l’Union européenne. À cet effet, en vertu de son article 1er, « les États membres opèrent une distinction entre la taxation liée au CO2 et la taxation générale de la consommation d’énergie. La taxation liée au CO2 se calcule en EUR/t de CO2»[10]. Ces deux autres initiatives connurent le même sort que leurs aînées.

Il serait erroné de croire que l’unanimité peine à être obtenue au niveau supranational exclusivement dans le domaine de la fiscalité environnementale, même si cette dernière constitue un exemple topique. La fiscalité directe parvient très difficilement à être harmonisée et concernant par exemple l’adoption d’une directive intérêts-redevances, la Commission avait dû retirer une proposition en 1994, faute de consensus, et aura attendu 2003 pour qu’une directive soit adoptée dans ce domaine[11].

L’unanimité du Conseil de l’Union européenne peut, certes, être dépassée. Les traités offrent aux institutions plusieurs options. Elles sont toutefois difficiles à mettre en œuvre et ne sauraient être considérées comme des solutions satisfaisantes à un blocage de certains États en matière fiscale[12]. Les États membres sont d’ailleurs réticents à recourir à une coopération renforcée[13].

Au vu de ces développements, force est de constater que l’Union européenne fait preuve de prudence s’agissant de sa proposition d’institution d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, autre mesure phare de son paquet « Fit for 55 »[14]. Alors même que plusieurs instruments économiques étaient discutés dont des instruments fiscaux, la Commission a préféré l’option de certificats pour refléter le prix payé par les assujettis du marché européen du carbone au travers de la restitution de quotas, évitant ainsi une unanimité du Conseil obérant son adoption[15].

La nouvelle proposition de réforme de la taxation existante en matière de produits énergétiques et de l’électricité

S’il est heureux que le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières ne dépende pas de l’unanimité, cela ne sera évidemment pas le cas pour la proposition restructurant le cadre de l’Union de taxation des produits énergétiques et de l’électricité du 14 juillet 2021.

La proposition est fondée principalement sur l’article 113 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), c’est-à-dire que les mesures prises à l’unanimité auront pour objet principal l’harmonisation de la fiscalité indirecte. La même base juridique fut utilisée pour la directive de 2003. On constate néanmoins qu’à titre secondaire, certaines dispositions pourront cette fois être adoptées avec l’article 192 §2 TFUE du traité. Si cet article ne déroge pas à l’unanimité, son utilisation indique cependant que l’aspect environnemental est plus prégnant au sein de la réforme de la taxation des produits énergétiques, dans la mesure où cette disposition encadre la politique de l’environnement.

Le recours à ces deux bases juridiques peut dans une certaine mesure étonner. Pourquoi l’article 194 TFUE organisant la politique de l’énergie n’a pas été utilisé, alors même que, d’une part, cet article fait écho à l’article 113 TFUE en exigeant que des mesures soient prises « dans le cadre de l’établissement ou du fonctionnement du marché intérieur », condition qui n’a donc pas pu dissuader son emploi, et que, d’autre part, la politique énergétique intègre l’environnement, en plus de prévoir expressément l’établissement de mesures fiscales (article 194 §3) ? En effet, cette politique doit être exercée en « tenant compte de l’exigence de préserver et d’améliorer l’environnement » et vise à « promouvoir l’efficacité énergétique et les économies d’énergie ainsi que le développement des énergies nouvelles et renouvelables ». Cette prise en compte de l’environnement est telle que l’on assiste même à une « écologisation de la politique énergétique »[16].

Si cette base n’avait pu être utilisée pour la directive de 2003, étant donné que la politique de l’énergie n’avait pas encore été institutionnalisée, le fondement de la nouvelle proposition peut donc laisser perplexe. Il semble que la politique de l’énergie, apparue seulement avec le traité de Lisbonne, peine à s’imposer face à la compétence environnementale et à la compétence relative au marché intérieur.

S’agissant du contenu de la proposition, les changements sont majeurs. Les niveaux minimaux de taxation seront en premier lieu fixés en fonction des performances environnementales et seront exprimés en fonction du contenu énergétique, c’est-à-dire en euro/GJ, contrairement à l’ancienne directive qui prévoyaient des taux exprimés en litres, kilos ou gigajoule. Ensuite, un classement des taux en fonction des performances environnementales sera établi et s’imposera aux États membres. Enfin, les produits énergétiques et l’électricité seront classés dans des catégories fiscales en fonction de leur performance environnementale[17]. Les combustibles fossiles conventionnels devront alors être taxés au taux le plus élevé tandis que le taux le plus bas s’appliquera à l’électricité, aux biocarburants avancés, aux bioliquides, aux biogaz et à l’hydrogène d’origine renouvelable.

Cette réforme opère ainsi une refonte en profondeur du cadre existant, afin de rendre cohérente l’ancienne directive avec les objectifs que l’Union se fixe en matière notamment de réduction des émissions et d’indépendance énergétique. Reste à savoir maintenant si cette proposition sera adoptée et si l’ambition européenne ne sera pas considérablement écornée par de multiples compromis.


[1] La représentation suédoise auprès de l’Union européenne a indiqué par une note libre diffusée sur son compte Twitter le refus conjoint de la Bulgarie, Croatie, République tchèque, Danemark, l’Estonie, Finlande, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, Roumanie, Slovénie et Suède d’accorder leur soutien à une révision prématurée des traités, voir pour la référence : https://twitter.com/SwedeninEU/status/1523637827686531072.

[2] Proposition restructurant le cadre de l’Union de taxation des produits énergétiques et de l’électricité, COM(2021) 563 final du 14 juillet 2021.

[3] Proposition de directive instaurant une taxe sur les émissions de dioxyde de carbone et sur l’énergie, COM92(226) final du 2 juin 1992.

[4] Patrick THIEFFRY, Droit de l’environnement de l’Union européenne, Bruylant, 2011, 2e édition, pp. 748-749.

[5] Proposition modifiée de directive instaurant une taxe sur l’émission de dioxyde de carbone et sur la consommation d’énergie, COM(95)172 final du 10 mai 1995.

[6] Patrick THIEFFRY, op. cit., pp. 749-750.

[7] Dir. 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 2003 établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et modifiant la directive 96/61/CE du Conseil.

[8] Dir. 2003/06/CE du Conseil du 27 octobre 2003 restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité.

[9] Proposition de directive concernant les taxes sur les voitures particulières, COM(2005) 261 final du 5 juillet 2005.

[10] Proposition de directive modifiant la directive 2003/96/CE du Conseil restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité, COM(2011) 169 final du 13 avril 2011, art. 1er.

[11] Ophélie ALLOUARD, Les frontières fiscales dans l’Union européenne appliquées à la fiscalité des entreprises, l’Harmattan, 2016, p. 90.

[12] Voir Elise DI ROIO, Les grands enjeux du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières : étude de la résolution du Parlement européen du 10 mars 2021 et de la proposition de la Commission européenne du 14 juillet 2021, Obs. Green Deal, mars 2022, https://www.observatoire-greendeal.eu/climat/les-grands-enjeux-du-mecanisme-dajustement-carbone-aux-frontieres-etude-de-la-resolution-du-parlement-europeen-du-10-mars-2021-et-de-la-proposition-de-la-commission-europeenne-du-14-juillet/.

[13] Ophélie ALLOUARD, op. cit., pp. 266-269.

[14] Voir sur ce sujet, Elise DI ROIO, op. cit. ; Elise DI ROIO, Le climat peut-il justifier un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières contraire aux principes de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce ?, Obs. Green Deal, mars 2022, https://www.observatoire-greendeal.eu/climat/le-climat-peut-il-justifier-un-mecanisme-dajustement-carbone-aux-frontieres-contraire-aux-principes-de-laccord-general-sur-les-tarifs-douaniers-et-le-commerce/.

[15] Proposition de règlement établissant un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, (COM(2021) 564 final) du 14 juillet 2021.

[16] Claude BLUMANN, « Rapport introductif général », Vers une politique européenne de l’énergie, Claude BLUMANN (dir.), Bruylant, 2012, p. 5.

[17] Proposition restructurant le cadre de l’Union de taxation des produits énergétiques et de l’électricité, COM(2021) 563 final du 14 juillet 2021, p. 4.