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De la NRE à la RSE, l’information non financière

Article

Catherine Malecki

par Catherine Malecki,

Professeure à l’université Rennes 2, LiRIS EA7481, membre associée de l’IDEP

L’information non financière[1] a considérablement évolué depuis la loi NRE ; elle est devenue un outil incontournable de la gouvernance d’entreprise durable et de la finance durable. Les contraintes du changement climatique témoignent de son utilité croissante et de sa capacité à répondre aux défis de la normalisation, de la digitalisation et de son internationalisation.

Lorsque la loi NRE a été adoptée, qui aurait pu imaginer que l’article L. 225-102-1 du code de commerce aurait été le siège de l’essor de l’information non financière ? En effet, en vingt ans, grâce à la loi NRE, l’information qu’on ne qualifiait pas encore d’information non financière ni même d’extra financière, a fait son entrée dans le droit des sociétés puis dans le droit bancaire et financier. Il y a vingt ans, l’acronyme RSE n’était pas encore communément usité, la RSE en était à ses balbutiements même si ses sources sont plus anciennes. À cet égard, il est rare qu’une notion soit entrée si rapidement dans une branche du droit pour y faire germer dans ses sillons d’autres notions, concepts, principes aussi novateurs que les parties prenantes, la valeur partagée et même l’intérêt social revisité à l’aune des enjeux sociaux et environnementaux.

Or, c’est en grande partie grâce à l’article 116 de la loi NRE que l’on doit la naissance de l’information non financière. Certes cette loi a eu une courte longueur d’avance sur le livre vert « Promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises » du 18 juillet 2001 définissant la RSE par l’intégration volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales dans leurs relations commerciales et celles de leurs parties prenantes, dont la lecture est encore très instructive vingt ans après. L’information non financière a cheminé pendant vingt ans aux côtés de l’influence européenne, parfois l’anticipant, parfois la rattrapant, la France étant souvent pionnière en ce domaine.

En vingt ans, les évolutions furent nombreuses. La terminologie a évolué, signe de nombreuses mutations : de reddition sociétale, à reporting non financier, information extra-financière, communication non financière, déclaration de performance extra financière (DPEF), reporting ESG (environnemental, social, de gouvernance). Les enjeux ont, eux aussi, évolué : le dogme de la transparence a laissé place à la notion de performance non financière, à la notion de compliance durable, à l’information sur la gestion des risques de « durabilité » ou ESG[2]. Un invité de marque a accéléré le processus et le rôle désormais incontournable de cette information : le changement climatique dont l’UE n’a de cesse de rappeler l’urgente nécessité de faire du continent européen un continent zéro carbone à l’horizon 2050.

Par conséquent, faire une analyse rétrospective et même, dans une moindre mesure, prospective, de l’évolution de l’information non financière de la NRE à la RSE est une invitation instructive au voyage dans le temps, un peu dans l’espace, de l’introduction assez inédite dans notre droit au regard de sa rapidité, d’une notion. Comme toute nouveauté, les débuts ont été difficiles, hésitants, parfois hasardeux. Examinons succinctement les points essentiels de cette évolution.

I. – Aspect chronologique : vingt années législatives bien remplies

La loi NRE a vingt ans : c’est, en principe, la jeunesse et pourtant, la loi NRE a des allures de doyenne si l’on évoque de façon non exhaustive une série de lois qui lui ont succédé dans le domaine de l’information non financière même de façon éloignée[3]. En premier lieu, son décret d’application du 20 février 2002 était très novateur par les listes d’items de cette information[4], puis les lois Grenelle 1 (3 août 2009)[5], Grenelle 2 (12 juillet 2010)[6] et son décret d’application du 24 avril 2012[7], la loi Warsmann II du 22 mars 2012[8], la loi LTECV du 17 août 2015[9], la loi du 27 mars 2017 sur le devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre[10] (importante pour la prise en compte des parties prenantes) à analyser de concert avec la loi Sapin 2 du 9 décembre 2016[11] en particulier au regard du statut général du lanceur d’alerte, l’ordonnance du 19 juillet 2017[12] transposant la directive RSE du 22 octobre 2014 et son décret d’application du 9 août 2017[13].

Évoquons ensuite aussi la loi du 8 août 2016[14] pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, innovante au regard de la définition de la biodiversité. L’année 2019 a été riche avec la loi PACTE du 22 mai 2019[15] et la loi du 8 novembre 2019[16] relative à l’énergie et au climat. L’année 2020 a consacré l’économie circulaire avec la loi du 10 février 2020[17] relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire. Enfin la loi portant la lutte contre le dérèglement climatique et le renforcement de la résilience face à ses effets du 22 août 2021[18] témoigne de la prise en compte croissante du climat et introduit une notion qui fera florès, la résilience. Plus précisément, cette loi a en particulier étendu les missions de contrôle de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution sur la diffusion et de l’information en matière de durabilité dans le secteur des services financiers.

Ces différentes lois ont donc apporté des notions nouvelles dans des registres différents de prime abord mais en réalité elles ont imprimé un mouvement général à l’information non financière qui est en quelque sorte la porte d’entrée de la RSE dans notre droit. Pendant ces vingt ans, la RSE a subi une « mue notionnelle » importante grâce à la communication européenne du 25 octobre 2011[19] : selon ce texte la RSE est « la responsabilité des entreprises vis-à-vis des effets qu’elles exercent sur la société », ce qui est un changement de paradigme en particulier par l’ouverture aux parties prenantes.

Il est à noter que la vitesse avec laquelle l’Union européenne trace la feuille de route de la RSE s’est beaucoup accélérée dès 2018 avec de nombreux textes importants (par exemple le Green Deal[20], le Clean Planet for all[21]et les importants règlements en matière de finance durable que l’on ne pourra plus dissocier de la RSE du moins quant à l’information non financière) et des textes à venir tels qu’une prochaine directive sur le devoir de vigilance ou encore une directive révisant la directive RSE du 22 octobre 2014. Naturellement la France n’est pas en reste, elle n’a eu de cesse d’être pionnière dans le sillage de l’Accord de Paris sur le Climat pour créer une dynamique non seulement législative mais aussi comportementale par la prise en compte de cette information.

II. – Évolution du champ d’application des « entités » concernées

En 2001, la loi NRE ne concernait que les sociétés cotées qui étaient tenues, selon son article 116 devenu l’article L. 225-102-1 alinéa 5 C, de publier dans leur rapport de gestion des « informations » sur la manière dont la société prend en compte les conséquences sociales et environnementales de son activité » mais c’était déjà une grande avancée. L’essentiel, excepté l’information dite « sociétale » y figurait : la notion « d’activité » qui est devenue le critère opérationnel de la compliance durable et « à l’époque » un listing d’items fourni par le décret du 20 février 2001.

Rendons hommage aux décrets car ce sont eux qui, techniquement et pratiquement, ont fait entrer les grandes avancées. Ainsi, le décret du 20 février 2001 était très novateur et annonciateur de la loi du 27 mars 2017 envisageant déjà l’activité d’une société française à l’étranger. Puis le champ d’application de l’information non financière s’est étendu considérablement à presque toutes les formes sociales avec le recours très classique aux seuils. La loi Grenelle 2 l’a étendu aux sociétés non cotées[22] mais c’est surtout le décret du 24 avril 2012 qui a été, lui aussi, très novateur. En effet, à la différence du décret du 22 février 2001, il précise qu’il s’agit d’obligations de transparence et, surtout, que ces obligations concernent non les sociétés mais « les entreprises » ce qui nous rapproche de l’acronyme RSE. La directive RSE du 22 octobre 2014 a ensuite étendu ce reporting aux grandes entités d’intérêt public (les sociétés cotées, les sociétés d’assurance, les établissements de crédit) mais en recourant uniquement au critère du nombre de salariés (500) auquel la France a ajouté, lors de sa transposition par l’ordonnance du 19 juillet 2017 des seuils financiers[23]. Mais le mouvement était enclenché et la loi PACTE l’a entériné, non sans créer une RSE à deux vitesses[24].

Ce mouvement en faveur de l’information non financière est contagieux heureusement dans le bon sens du terme ! Il concerne aussi les sociétés de gestion de portefeuille et les institutions financières[25]. Nous assistons parfois à un jeu de chaises musicales avec l’évolution de certains articles. Ainsi, les sociétés de gestion de portefeuille sont concernées par l’information non financière avec l’article L. 173 VI de la loi LTECV auquel le code de l’AFG (Association Française de Gestion) a répondu par un guide pratique puis cet article a été remplacé. En effet, la grande avancée concernant le champ d’application de l’information non financière est surtout due à l’article 29 de la loi relative à l’énergie et au climat du 8 novembre 2019 qui remplace l’article L. 533-22-1 du code monétaire et financier, donc l’article L. 173-VI de la loi LTECV. Le décret d’application du 27 mai 2021 encadre désormais le reporting non financier des « acteurs de marchés ». Il définit les informations à publier sur la prise en compte dans la politique d’investissement des critères ESG (environnementaux, sociaux, de qualité de gouvernance) et sur les moyens mis en œuvre pour contribuer à la transition énergétique et écologique.

Ce décret innove en intégrant des dispositions relatives à la prise en compte des risques liés à la biodiversité. C’est l’extension des acteurs et des activités concernées[26] qui est à souligner et ceci est logique dans la mesure où la finance durable est à présent indissociable de la RSE. Ce mouvement fait écho à l’influence forte de la finance durable avec le règlement européen Disclosure du 27 novembre 2019[27]. L’information non financière est, s’il est permis d’utiliser un terme botanique, la « sève » de la RSE.

III. – Évolution du contenu et de la méthode de reporting de l’information non financière

A. – Le contenu

C’est dans ce domaine que l’évolution a été la plus marquante. Il n’est pas possible de détailler l’évolution de ce contenu[28], mais insistons quelques traits marquants. En 2001, il s’agissait de remplir un listing, en 2012 un listing avec la difficulté, par exemple, des deux listes (une pour les sociétés cotées, une pour les sociétés non cotées) du décret du 24 avril 2012. Avec l’entrée très importante en 2010 de l’information sociétale fortement empreinte du développement durable cher à Gro Harlem Brundtland, l’article L. 225-102-1 alinéa 5 du code de commerce, issu de la loi Grenelle 2, a profondément innové en précisant que le rapport visé à l’article L. 225-102 du code de commerce comprend des informations « sur la manière dont la société prend en compte les conséquences sociales et environnementales de son activité, ainsi que sur ses engagements sociétaux en faveur du développement durable ».

La loi du 16 juin 2011 a permis d’intégrer dans ce rapport d’autres engagements tels que ceux pris « en faveur de la lutte contre les discriminations et de la promotion des diversités ». Avant la loi LTECV les items concernant l’utilisation durable des ressources (consommation en eau, consommation de matières premières, déjà le changement climatique, la protection de la biodiversité) étaient très en phase avec les préoccupations environnementales. De même, l’item relatif aux engagements sociétaux en faveur du développement durable mentionnait la sous-traitance, la notion de « relations entretenues avec les personnes ou les organisations intéressées par l’activité de la société (…) » (allant plus loin encore pour les sociétés cotées[29]), notamment les associations de consommateurs, de défense de l’environnement, les populations riveraines, les établissements d’enseignements et les associations d’insertion. Ce sont les « parties prenantes » chères à R. Edward Freeman bien avant l’heure.

La loi LTECV avec son article 173 a opéré un tournant important avec la prise en compte du climat mais plus précisément de « l’adaptation aux conséquences du changement climatique ». Elle a contraint les investisseurs institutionnels à indiquer « la part verte » de leur portefeuille (gestion du risque climat et part de carbone dans leurs portefeuille).

Le changement climatique était déjà mentionné par le décret du 24 avril 2012 mais des nouveautés apparaissent pour prendre en compte les avancées de la loi LTECV (changement climatique, énergies renouvelables, économie circulaire) en particulier dans l’item relatif aux informations environnementales où figurent désormais[30] « le montant des provisions et garanties pour risques en matière d’environnement, sous réserve que cette information ne soit pas de nature à causer un préjudice sérieux à la société dans un litige en cours ». De même, l’item « changement climatique » est enrichi considérablement par la mention des « objectifs de réduction fixés volontairement à moyen et long terme pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et les moyens mis en œuvre à cet effet ». Ceci s’inscrit dans le grand programme de l’Union européenne en faveur de la finance durable car il faudra financer les énergies renouvelables à l’horizon 2050[31]. Dans ce même mouvement concernant l’information relative aux postes significatifs d’émission de gaz à effet de serre générés du fait de l’activité de la société, la loi du 22 août 2021 complète le contenu de la DPEF afin de responsabiliser les « chargeurs »[32].

Une nouveauté appréciable est la mention expresse des « parties prenantes » dans l’item « Informations sociétales »[33] qui évoque « les relations entretenues avec les parties prenantes de la société et les modalités du dialogue avec celles-ci (…) ». Une question pourrait se poser : où est mentionnée expressément la RSE ? Elle figurait presque in extenso dans le décret du 24 avril 2012 dans l’item « sous-traitance et fournisseurs »[34] avec la mention de la prise en compte « dans les relations avec les fournisseurs et les sous-traitants de leur responsabilité sociale et environnementale ». L’emblématique article L. 173 IV pour les sociétés et VI pour les sociétés de gestion de portefeuille a joué un grand rôle dans l’évolution de l’information non financière, à tel point qu’il est pris en exemple par la Commission européenne pour l’adoption prochaine de nouveaux textes.

B. – La méthode : du listing à la compliance durable et à la « stratégie » du risque

Le contenu de l’information non financière est désormais très riche dans les domaines environnementaux, sociaux, sociétaux et de gouvernance et, surtout, il n’est pas limité dans la mesure où la grande nouveauté de la compliance durable, entrée relativement discrètement avec le décret du 24 avril 2012, a permis aux sociétés concernées de mentionner les informations dites « pertinentes » au regard de leur « activité ».

Article R. 225-105 alinéa 3 et alinéa 4 du code de commerce, qui s’applique aussi bien aux sociétés cotées que non cotées, précise que le rapport mentionné à l’article L. 225-102 « indique, parmi les informations mentionnées à l’article R. 225105-1, celles qui, eu égard à la nature des activités ou à l’organisation de la société, ne peuvent être produites ou ne paraissent pas pertinentes, en fournissant toutes explications utiles ». C’était une mini-révolution que cette consécration de la compliance durable !

L’AMF a pris la mesure de l’importance du reporting non financier des sociétés en publiant régulièrement des rapports très nourris, avec des guidelines dans ce domaine[35]. Mais c’est surtout avec l’ordonnance du 19 juillet 2017 que la méthode du reporting a évolué avec la culture du risque et de la compliance, qui est devenue un outil incontournable. Ce sont, là encore, les décrets qui ont innové en ce sens[36], l’année 2017 demeurant un « grand cru » pour le reporting non financier.

En effet, l’esprit de l’ordonnance du 19 juillet 2017 et la pratique qui vont en découler sont sensiblement différents en ce qu’ils sont fidèles à la directive RSE. C’est à présent non un reporting non financier, tel un listing d’informations à fournir, que les sociétés devront mettre en place mais, comme nous l’avons évoqué, davantage une réflexion, une analyse des risques (« pertinents ») extra-financiers, une anticipation de ceux-ci qui est attendue. Une compliance durable sous l’angle des risques est consacrée expressément, ce qui n’est pas sans poser des problèmes de sincérité, d’explications suffisantes voire de contrôle de ces explications. Cette ordonnance s’inscrit heureusement dans la révision du code Afep/Medef qui a enfin consacré la RSE indiquant qu’elle fait partie de la stratégie de la société et a fortiori que les membres du conseil d’administration[37] doivent y être sensibilisés, ce qui n’est pas anodin au regard de l’article L. 225-102-VI alinéa 2 du code de commerce. Notons que le code de gouvernement d’entreprise Middlenext 2021 recommande la création de comités RSE dont l’une des missions est de réfléchir sur les critères permettant d’apprécier la performance extra-financière de l’entreprise[38].

La déclaration de performance extra-financière (DPEF) se présente sous l’angle des risques ce qui s’inscrit dans le droit fil de la directive et aussi de la loi sur le devoir de vigilance ; en effet l’article R. 225-105 II précise que « La déclaration contient, lorsqu’elles sont pertinentes au regard des principaux risques ou des politiques mentionnées au I ». Or, ces risques s’inscrivent pour chaque catégorie d’information (sociales, environnementales, sociétales) et appellent une description des « principaux risques liés à l’activité de la société ou de l’ensemble des sociétés y compris, lorsque cela s’avère pertinent et proportionné, les risques créés par ses relations d’affaires, ses produits ou ses services ». Notons l’importance de la mention « produits » et « services » impliquant largement les parties prenantes telles que les consommateurs.

De même, la gouvernance d’entreprise durable est consacrée par la déclaration qui comporte une description des politiques appliquées par la société, incluant le cas échéant « les procédures de diligence raisonnable mises en œuvre pour prévenir, identifier, atténuer la survenance des risques mentionnés au 1° » et comprend aussi « les résultats de ces politiques, incluant des indicateurs clés de performance ». À cela ajoutons la description sur la politique de diversité dans la déclaration sur le gouvernement d’entreprise pour les sociétés cotées avec une possible compliance dite « positive ».

IV. – Évolution de la finalité de l’information non financière et de ses destinataires

C’est une évolution complexe que celle de la finalité de l’information non financière et celle de ses destinataires. La loi NRE avait conçu cette information non financière dans un but de transparence. Nous étions aux prémices de la gouvernance d’entreprise qui, ensuite, avec les rapports Viénot allait influencer le droit des sociétés notamment avec la transparence des rémunérations et le rôle de la loi TEPAdu 21 août 2007. En 2001, le cercle des destinataires de l’information non financière était restreint mais, avec la loi Grenelle 2 et la prise en compte avortée des parties prenantes, le contenu de cette information a forcément influencé ses destinataires.

Les parties prenantes ont fait leur entrée avec le décret du 24 avril 2012 relatif « aux obligations de transparence des entreprises en matière sociale et environnementale » et la loi LTECV a rappelé que les «consommateurs » en tant que destinataires de cette information seront appelés à jouer un rôle croissant avec la notion d’économie circulaire. La sphère des destinataires de cette information est donc plus grande, plus protectrice voire pensée plus « résiliente ». Elle trouve son aboutissement avec l’entrée de la mention du « public » par la loi devoir de vigilance[39] qui aura bientôt « sa » directive. C’est un « tsunami » pour la gouvernance d’entreprise que nous qualifierions à présent de « résiliente ».

Le point de départ est connu : l’Union européenne n’a eu de cesse de rappeler que les conditions d’une bonne gouvernance d’entreprise dépendent de la qualité de l’information. Aussi n’est-il pas surprenant que la directive RSE du 22 octobre 2014 ait consacré le « grand saut » électronique de cette information. Les sites internet des entreprises concernées doivent permettre l’accessibilité aisée aux informations non financières afin de mettre ces dernières à la disposition du « public » et ce, dans un « délai raisonnable ». L’utilisation massive des sites internet par la loi dite Devoir de vigilance du 27 mars 2017 va dans le même sens. Le support électronique, inconcevable il y a vingt ans, est devenu le passage incontournable de nos jours : l’Ord. du 19 juillet 2017 consacrée par l’article L. 225-102-1 III alinéa 4 du code de commerce dispose que « ces informations font l’objet d’une publication librement accessible sur le site internet de la société »[40], cette information doit en effet pouvoir durer pour permettre sa comparabilité[41]. Or ouvrir cette information au « public » aura des conséquences à court terme sur le rôle croissant des parties prenantes et ouvre d’ores et déjà la « troisième voie » entre la Shareholder Primacy et la Stakeholder Theory, à une autre gouvernance d’entreprise déjà consacrée par les textes récents de l’UE sur la Sustainable Corporate Governance, la gouvernance d’entreprise résiliente.

V. – Évolution des modalités techniques de l’information non financière

L’information non financière est donc en constante évolution depuis la loi NRE. Elle devient de plus en plus technique, complexe, elle nécessite des spécialistes pointus du « reporting ESG » car elle est et sera avant tout « stratégique » grâce, par exemple, aux stratégies d’investissements alignées avec les objectifs de long terme relatifs à la biodiversité. Ses sources, internationales, européennes et de droit interne sont très différentes car elle est elle-même tentaculaire. Elle encourt encore des reproches nombreux telles que l’absence de comparabilité et de référentiels communs. Elle évoluera encore, elle est en constante « amélioration » grâce à l’évolution des méthodologies et surtout des actions de suivi dans le temps des stratégies non financières.

Elle sera standardisée : les travaux de l’EFRAG (European Financial Reporting Advisory Group) montrent que les progrès sont tangibles. C’est surtout l’essor des critères ESG à l’échelle internationale qui sera important. Le processus de sa vérification est évolutif depuis l’OTI (Organisme tiers indépendant).

Elle sera digitale et numérique : elle bénéficiera à l’échelle européenne de l’ESAP (European Single Access Point) qui jouera un rôle de sécurité un peu à l’instar du passeport européen créé pour les agences de notation financières. La France est une pionnière avec le décret du 21 mai 2021 pris pour l’application de l’article 29 de la loi Énergie Climat en prévoyant la transmission du plan « d’amélioration » continue sur la prise en compte des critères ESG sur une « plateforme de la transparence climatique »[42] : inconcevable il y a vingt ans !

Elle n’a plus vocation à être distincte mais au contraire intégrée à l’information financière, elle acquiert ainsi pleinement ses lettres de noblesse avec le reporting intégré promu par l’Autorité des normes comptables (ANC) mais aussi par les travaux internationaux de l’International Integrated Reporting Council (IIRC) qui a publié un cadre de référence international très prometteur insistant par exemple sur six différents types de capitaux qui permettent de définir la valeur d’une entreprise[43].

L’AMF sera son plus fidèle compagnon de route : l’AMF accompagne depuis de nombreuses années les sociétés cotées dans l’élaboration de leurs déclarations extra-financières, notamment en mettant en avant des bonnes pratiques et des recommandations. En décembre 2020, l’AMF a publié, par exemple, une étude sur le reporting climatique selon le référentiel Task Force on Climate-related Financial Disclosures (TCFD). L’AMF a par ailleurs publié le 18 décembre 2020, de concert avec l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), un grand rapport de 112 pages très instructif sur les engagements climatiques des institutions financières françaises[44], en particulier les politiques « charbon » sont examinées et surtout la « politique désengagement » en ce domaine.

Le régulateur français a ainsi évalué la mise en œuvre de ce référentiel par 10 acteurs financiers français à partir d’une analyse approfondie des rapports publiés et d’entretiens. En 2019, déjà, le régulateur avait donné les clés d’une performance extra financière réussie dans son rapport sur la responsabilité sociale, sociétale et environnementale des sociétés cotées. L’AMF répond aux analyses d’impact de la Commission européenne sur la future directive extra-financière en particulier pour rendre les informations disponibles dans un format numérique et améliorer la convergence de supervision au niveau européen[45]. L’ESMA, le régulateur européen, élabore une « doctrine européenne en matière de reporting extra-financier » en insistant sur l’importance de mettre en œuvre le principe de double matérialité et la nécessité de se référer aux lignes directrices de la Commission européenne qui traite des risques climatiques[46].

VI. – Évolutions et enjeux à venir

En vingt ans, cette information a donc beaucoup évolué, elle est non seulement un élément clef de la RSE mais elle consacre la gouvernance d’entreprise durable. Le temps semble loin des critiques souvent acerbes à son encontre : trop coûteuse et non source potentielle de profit. Elle est devenue un incontournable mais elle doit être opérationnelle, efficace, standardisée, vérifiée, lisible, compréhensible, accessible.

Cette information s’est anglicisée : c’est un must have qui doit encore et toujours lutter contre le Greenwashing, se défendre du Name and Shame tout en faisant partie de l’Integrated Reporting et bénéficiant des travaux duG20 de la fameuse TFCD (Task Force on Climate-related Financial Disclosures). En juin 2017 le groupe de travail sur la TCFD[47] créé par le Conseil de stabilité financière du G20 a publié des recommandations visant à encourager les établissements financiers et les sociétés non financières à publier des informations sur les risques et opportunités liés au climat. Ces recommandations sont soutenues par un grand nombre de gouvernements et d’organismes de règlementation financière dans le monde : États-membres de l’UE, Singapour, Japon, Afrique du Sud, Canada, Australie, Hong Kong.

Toutefois, la question de la contrainte et des sanctions se pose. L’Union européenne ne s’y est pas trompée : la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) Proposal du 21 avril 2021, future directive sur l’information non financière (apprécions la mention de Corporate Sustainability[48]) est l’antichambre de la prochaine directive RSE sur le reporting financier qui lui donnera en particulier un champ d’application plus important.

L’essor de la finance durable permettra à l’information non financière d’écrire une autre page de son histoire. En effet, elle est déjà incontournable avec le règlement européen sur la Taxonomie européenne du 18 juin 2020 et elle s’inscrit dans un vaste mouvement, même hors de l’Union européenne, en faveur de la transparence sur les critères ESG[49]. La nouveauté est également l’adoption du règlement UE 2019/2088 du Parlement européen et du Conseil du 27 novembre 2019 sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers[50].

Ce survol de vingt ans de l’évolution de l’information non financière nous a permis de rendre un vibrant hommage à la loi NRE qui fait partie des grandes lois que la France ait portées. En vingt ans, cette information a pris un essor considérable à tel point que le reporting ESG « acclimaté » à l’urgence climatique est un enjeu de la gouvernance d’entreprise durable. Entrée par la porte de l’information non financière avec la loi NRE, la RSE est désormais à tous les étages de la maison gouvernance d’entreprise durable.


[1] Article publié sous cette référence, C. Malecki, L’information non financière, in Dossier “De la NRE à la RSE“, RLDA 7358, décembre 2021, pp 19-25, je remercie vivement Madame Chloé Mathonnière pour son accord de mise en ligne sur l’Observatoire du Green Deal.

[2] Décret du 27 mai 2021 pris pour l’application de l’art. 29 de la loi énergie-climat.

[3] Les renvois entre textes sont fréquents, par ex. C. com., art. L. 225-102-1-III, la déclaration peut « renvoyer » le cas échéant aux informations figurant dans le plan de vigilance.

[4] Décret n°2002-221, 20 février 2002, L’art. R. 225-104 9° 4 disposait déjà « Il indique en outre la manière dont les filiales étrangères de l’entreprise prennent en compte l’impact de leurs activités sur le développement régional et les populations locales » nos italiques.

[5] Loi n°2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement (1).

[6] Loi n°2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement (1).

[7] Décret n°2012-557 du 24 avril 2012 relatif aux obligations de transparence des entreprises en matière sociale et environnementale.

[8] Loi 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l’allègement des démarches administratives.

[9] Loi n°2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte assortie de 59 décrets d’application !

[10] Loi n°2017-399 du 27 mars 2027 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre.

[11] Loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation économique.

[12] Ordonnance n°2017-1180 du 19 juillet 2017 transposant la directive “RSE” (2014/95/UE)

[13] Décret n° 2017-1265 du 9 août 2019.

[14] Loi n°2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.

[15] Loi n°2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et à la transformation des entreprises.

[16] Loi n°2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat.

[17] Loi n°2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire.

[18] Loi n°2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

[19] COM (2011) 681 final “responsabilité sociale des entreprises : une nouvelle stratégie de l’UE pour la période 2011-2014.

[20] Communication de la Commission, COM (2019) 640 final du 11 décembre 2019, Le pacte vert pour l’Europe, https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:52019DC0640&from=EN

[21] Communication de la Commission, COM (2018) 773 du 28 novembre 2018, A Clean Planet for all : a European strategic long-term vision for a prosperous, modern, competitive and climate-neutral economy.

[22] Avec le double seuil de 500 salariés et 100 millions d’euros de CA.

[23] CA net supérieur à 40 millions d’euros ou total de bilan supérieur à 20 millions d’euros.

[24] C. Malecki, La loi PACTE ou une RSE à deux vitesses, in Rencontres multicolores autour du Droit, Mélanges en l’honneur du Professeur Deen Gibirila, PU Toulouse 1 Capitole, avr. 2021, p. 233-246.

[25] V. C. mon et fin ‘art. L. 511-35 al. 2.

[26] Les fonds immobiliers sont soumis à ce dispositif au même titre que les établissements de crédits et les entreprises d’investissements.

[27] Règl. PE UE n° 2019/2088, 27 novembre 2019, sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers.

[28] Une lecture attentive du décret du 20 février 2002, pris pour l’application de l’article 116 de la loi NRE montre que la plupart des items de l’information sociale et environnementale étaient présents. On ne peut lui faire le reproche de ne pas mentionner la promotion des diversités, l’économie circulaire ou encore le bien-être animal.

[29] V. C. com., art. R. 225-105-1, II, 3° qui mentionne expressément la RSE « l’importance de la sous-traitance et la prise en compte dans les relations avec les fournisseurs et les sous-traitants de leur responsabilité sociale et environnementale », c’est un avant-goût de la loi du 27 mars 2017.

[30] Art. R. 225-105-II 2° a.

[31] C. Malecki, -2C° ou les beaux jours de la finance climatique, in Droit de la Finance alternative, sous la direction de Jean-Marc Moulin, Bruylant, Economie sociale et solidaire, 2017, p. 251-267.

[32] C. com. art. L. 225-102-1 modifié par l’art. 138 I et II de la loi du 22 août 2021.

[33] Art. R. 225-105-II 3 a).

[34] C. com., art. R. 225-105-II A 3 b).

[35] V. par exemple le rapport de novembre 2019, https://www.amf-france.org/sites/default/files/2020-02/rapport-2019-sur-la-responsabilite-sociale-societale-et-environnementale-des-societes-cotees_0.pdf

[36] D. 20 févr. 2002, D. 24 avr. 2012 et D. 9 août 2017, C. com., art. R. 225-105 II : un reporting pertinent.

[37] La RSE fait partie du Code Afep/Medef (Recommendation 1.2, 1.5, 6.2) sous des formes diverses.

[38] A. Couret, Le Code de gouvernement d’entreprise Middlenext 2021, BJS, novembre 2021, p. 36.

[39] « Le plan de vigilance et le compte rendu de sa mise en œuvre effective sont rendus publics (…) ».

[40] C. com., art. L. 225-102-1-III al., certes la mention « public » n’y figure pas mais on retrouve cette volonté dans la Directive RSE, il faut « faire en sorte que toutes ces procédures soient mises à la disposition de toutes les personnes et entités juridiques » ; Exposé des motifs, cons. 10 : c’est par le biais du plan de vigilance, inclus dans le rapport de gestion que le public s’invite expressément.

[41] Elle doit être publiée dans les 8 mois de la clôture de l’exercice et demeurer sur le site pendant 5 ans.

[42] Climate Transparency Hub (CTH).

[43] Les capitaux financiers, manufacturiers, naturels, sociaux, humains et intellectuels.

[44] Rapport AMF ACPR, 18 décembre 2020 : https://www.amf-france.org/fr/actualites-publications/publications/rapports-etudes-et-analyses/rapport-commun-acpr-amf-les-engagements-climatiques-des-institutions-financieres-francaises.

[45] https://www.amf-france.org/fr/actualites-publications/actualites/lamf-repond-lanalyse-dimpact-initiale-de-la-commission-europeenne-sur-la-revue-de-la-directive-extra.

[46] Comm. EU, comm. 2019/C 209/01, 26 juin 2019.

[47] Task Force on Climate-Related Financial Disclosures, Final Report: Recommendations of the Task Force on Climate-related Financial Disclosures (June 2017) : https://www.fsb-tcfd.org/publications/final-recommendations-report, pt. 5-8.

[48] Nous avions posé les bases de la gouvernance d’entreprise durable, Responsabilité sociale des entreprises,

[49]Perspectives de la gouvernance d’entreprise durable, Lextenso, collection droit des affaires, 2014.

[50] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32019R2088&from=FR JOUE 9 décembre 2019 L317/1.