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Avec la proposition de directive « Omnibus », la Commission européenne fait un « pas de côté » en matière environnementale !*

Véronique Magnier

Eu flags in front of european commission

Les directives 2022/2464 du 14 décembre 2022[1], dite directive CSRD, et 2024/1760 du 13 juin 2024 sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité, dite directive CS3D[2], avaient apporté un souffle nouveau laissant espérer le développement d’activités plus respectueuses de l’environnement. La proposition de directive dite Omnibus depuis le 26 février 2025, présentée par la Commission européenne comme une « avancée majeure » [3], laisse à l’inverse place à un retour en arrière. Ce texte vise « à simplifier les règles de l’UE, à stimuler la compétitivité et à libérer des capacités d’investissement supplémentaires »[4]. Il entend privilégier une approche stratégique plutôt qu’une simple mise en conformité. Au prétexte louable de simplification, l’Union européenne pourrait toutefois, si le texte était voté en l’état, faire un grand « pas de côté » face aux défis environnementaux, climatiques et de droits humains.

Ironiquement, c’est au nom de cette même compétitivité que les deux précédents textes avaient été établis, comme le souligne le 1er considérant de la directive CSRD : « Le pacte vert est la nouvelle stratégie de croissance de l’Union. Cette stratégie vise à transformer l’Union en une économie moderne, efficace dans l’utilisation des ressources et compétitive, caractérisée par l’absence d’émission nette de gaz à effet de serre (GES) d’ici 2050. »

La Commission se veut rassurante : il n’est pas question de remettre en cause la poursuite du Pacte Vert. Mais à l’appui du rapport Draghi[5] préconisant de nouvelles orientations pour regagner en compétitivité et stimuler la croissance, la « boussole pour la compétitivité »[6], publiée le 29 janvier 2025, paraît suggérer que la régulation de l’activité des entreprises en faveur de l’environnement et des droits humains constituerait désormais un frein à l’innovation et à la compétitivité. Aussi, la proposition de directive doit être lue en creux : au-delà d’un assouplissement certain des contraintes de transparence et de vigilance (I), le sort des pistes d’améliorations envisagées par les précédentes directives semble compromis (II).

I. Assouplissement des contraintes de transparence et de vigilance

Les mesures de simplification conduiront à alléger les obligations d’information à produire dans le rapport de durabilité, en particulier celles à la charge des PME qui seraient réduites d’environ 35 % d’ici 2029, laissant à celles-ci le soin de choisir, ou non, d’adopter des démarches volontaires. Cet assouplissement ramène à une époque où la Commission européenne ne voyait dans la RSE qu’une démarche volontaire, avant qu’elle la définisse comme « la responsabilité des entreprises vis-à-vis des effets qu’elles exercent sur la société » [7].

  1. La directive CSRD
  • Réduction du champ d’application : La directive ne concernerait que les entreprises de plus de 1 000 employés (seuil qui serait combiné à des critères financiers), l’argument étant que les grandes entreprises ont un impact plus important sur l’environnement et la société, ce qui reste à démontrer. Dès lors, environ 80 % des entreprises actuelles seraient exclues. L’effort de transparence, voulu par la directive CSRD, serait réduit d’autant. L’Association française de gestion (AFG) avait en outre alerté sur le fait que cette réduction du champ d’application viendrait accroître la dépendance des investisseurs et des entreprises aux fournisseurs de données[8]. Elle n’a pas été entendue.
  • Simplification des standards de reporting : Un acte délégué devrait réduire le nombre d’indicateurs d’environ 40 %, en privilégiant des informations matérielles et quantitatives au détriment des informations qualitatives. Cette simplification limiterait les données sur les émissions de gaz, la consommation d’eau, les déchets et la biodiversité. Quant aux sociétés désormais hors du périmètre de la directive, elles pourraient s’inspirer des normes des PME non cotées élaborées par l’European Financial Reporting Advisory Group (EFRAG)[9]. Mécaniquement, les grandes entreprises seraient à leur tour exemptées de reporting sur les acteurs de la chaîne de valeur comptant moins de 1 000 salariés.

Ainsi, ces évolutions entraîneraient une réduction de l’effort de transparence, au détriment de l’information destinées aux investisseurs et plus largement au public.

  • La directive CS3D 

La directive CS3D ne modifie pas le champ des acteurs concernés, mais réduit le contenu des obligations de vigilance pour les grandes comme pour les petites entreprises.

  • Limitation des contraintes pour les grandes entreprises : Le champ des obligations à la charge des grandes directives couvrait initialement, selon la directive CS3D, tous les acteurs de la chaîne de valeur, incluant les activités des entreprises, filiales et partenaires, ce qui permettait de traiter l’ensemble des impacts négatifs réalisés par l’activité commerciale sur les droits humains et l’environnement. La vigilance raisonnable serait recentrée sur les « partenaires commerciaux directs », excluant ainsi une partie de la chaîne de valeur, notamment en aval (transports, distribution).
  • Réduction des obligations pour les PME et ETI : Les PME et ETI verraient également une réduction de leurs obligations, les informations qu’elles seront tenues de fournir dans le cadre de la cartographie des chaînes de valeur demandée par les grandes entreprises étant réduites.

La révision de la directive CS3D pourrait venir limiter l’efficacité de l’obligation de vigilance, en restreignant le périmètre de l’obligation de vigilance pour les grandes entreprises et en réduisant les exigences pour les plus petites d’entre elles. Le « pas de côté » de la Commission européenne est bien réel. Ce pourrait même être un pas en arrière si l’on s’inquiète des pistes d’améliorations prévues par les directives qui seraient purement et simplement abandonnées.

II. Abandon des pistes d’amélioration envisagées

Textes ambitieux, les directives CSRD et CS3D envisageaient respectivement des améliorations dans le temps qui risquent de ne jamais voir le jour.

  1. La Directive CSRD
  2. Abandon du reporting sectoriel spécifique : La directive CSRD prévoyait la mise en place d’un reporting adapté par secteur d’activité, avec des informations spécifiques sur les risques et incidences liés à la durabilité. Le considérant 53 de la CSRD soulignait l’importance des comparaisons entre entreprises d’un même secteur, souvent exposées aux mêmes risques durables. L’élimination de ces normes sectorielles limiterait la transparence sur des secteurs « clés ».
  • Abandon de la certification progressive des informations de durabilité : La directive prévoyait une certification progressive des informations de durabilité, allant d’une « assurance limitée » à un contrôle d’« assurance raisonnable » d’ici 2028. Le considérant 60 insistait sur la nécessité d’un renforcement progressif de la certification. L’ex Haut Conseil du Commissariat aux comptes, le H3C dans son avis technique, n’hésitait pas à reconnaître que « dans le cadre d’une mission d’assurance limitée, le volume des vérifications est inférieur à celui que requiert une mission d’assurance raisonnable » [10]. Cette avancée pourrait ne jamais se concrétiser, limitant l’impact de la certification par un tiers indépendant à un contrôle réduit.

L’abandon de ces mesures réduirait la transparence et la fiabilité des informations relatives à la durabilité, avec un contrôle moins strict sur les données publiées.

  • La Directive CS3D
  • Abandon du rapport sur les exigences supplémentaires pour les entreprises financières : L’article 36 de la directive CS3D prévoyait une clause de rendez-vous, insistant sur la nécessité que La Commission présente un rapport d’ici 2026, afin que soient fixées des exigences adaptées aux entreprises financières. Appuyant ce projet, le considérant 51 de la directive soulignait le rôle clé des entreprises financières dans la gestion des incidences négatives, notamment par l’exercice des droits des actionnaires. Cette question ne semble plus d’actualité.
  • Suppression d’un régime adapté de responsabilité civile : L’article 29 prévoyait un régime de responsabilité civile pour les entreprises, accompagné de sanctions pécuniaires. Cette mesure aurait renforcé l’effectivité du devoir de vigilance et créé un cadre uniforme en Europe, mais elle semble ne plus être d’actualité. L’abandon de cette mesure empêchera la création d’un « level playing field » pour garantir l’égalité des entreprises face à la responsabilité civile. Si l’on se souvient des débats français à propos de l’amende civile, conduisant à une censure du Conseil constitutionnel[11], cet abandon notable est sans doute l’occasion ratée d’instaurer un level playing field égal pour tous et de donner pleine efficacité aux normes européennes en matière de vigilance.
  • Disparition du plan spécifique sur le climat : Le plan dédié au climat et le rôle des parties prenantes dans les plans de vigilance semblent également avoir disparu des priorités européennes.

Il est prévu un report de mise en œuvre de ces textes (deux ans pour CSRD, un an pour CS3D), ce qui aura ceci de positif de permettre l’adoption des lignes directrices de l’EFRAG prévues pour 2026, avant que le reporting ne soit imposé aux institutions financières (conformément au devoir de vigilance de droit français).

Il est à craindre que la directive Omnibus n’illustre un « pas de côté » de l’Union européenne dans la défense de l’environnement, du climat, de la biodiversité et des droits humains. Mais la nature n’attendra pas et il demeure urgent, pour les acteurs économiques, de promouvoir un modèle de développement durable et résilient. Aussi, et sans le bénéfice d’une harmonisation européenne, chaque entreprise devra-t-elle forger sa propre gouvernance d’entreprise éthique et « durable »[12]. Fondamentalement, c’est en effet le conseil d’administration qui « détermine les orientations de l’activité de la société et veille à leur mise en œuvre, conformément à son intérêt social, en considérant les enjeux sociaux et environnementaux de son activité »[13]. Simplification et compétitivité devront donc rimer avec éthique.


[*] Ce commentaire a été publié sous un format plus développé aux références suivantes : V. Magnier, « La proposition de directive Omnibus ou le « pas de côté » de la Commission européenne »,BJS avril 2025, n° BJS203u8, lien : http://lext.so/BJS203u8. L’auteur remercie les éditions Lextenso.

[1] PE et Cons. UE, dir. n° 2022/2464, 14 déc. 2022, modifiant le règlement (UE) n° 537/2014 et les directives 2004/109/CE 2006/43/CE et 2013/34/UE en ce qui concerne la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises.

[2] PE et Cons. UE, dir. n° 2024/1760, 13 juin 2024, sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité et modifiant la directive (UE) 2019/1937 et le règlement (UE) 2023/2859.

[3] Commission européenne, Communication, 26 févr. 2025 : https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/ip_25_614.

[4] Commission européenne, Communication, 26 févr. 2025, préc.

[5] Commission européenne, Communication, 26 févr. 2025, préc.

[6] Commission européenne, « Une boussole de l’UE pour regagner en compétitivité et garantir une prospérité durable », 29 janv. 2025 : https://france.representation.ec.europa.eu/informations/une-boussole-de-lue-pour-regagner-en-competitivite-et-garantir-une-prosperite-durable-2025-01-29_fr

[7] COM (2011) 681 final, 25 oct. 2011.

[8] AFG, Communiqué de presse, « Projet d’Omnibus européen », 13 mars 2025, https://www.afg.asso.fr/app/uploads/2025/03/AFG_CP-directive-Omnibus_13032025-FR.pdf

[9] EFRAG, The Voluntary standard for non-listed micro-, small- and medium-sized undertakings. (VSME), déc. 2024 : https://www.efrag.org/sites/default/files/sites/webpublishing/SiteAssets/VSME%20Standard.pdf.

[10] H3C, avis technique, Mission d’assurance limitée sur l’information en matière de durabilité, juin 2023, p. 4 : https://h3c.org/wp-content/uploads/2023/07/Groupe-H3C-CSRD-Avis-technique-mission-assurance-limitee-Juin-2023-5.pdf. Le H3C est devenu la Haute Autorité de l’Audit, la H2A, le 1er janvier 2024.

[11] Cons. const., 23 mars 2017, n° 2017-750 DC, Loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre.

[12] Conférence annuelle Paule-Gauthier, Université Laval, dir. I. Tchotourian, communication V. Magnier, « La gouvernance d’entreprise comme levier de la transition climatique : avancées et défis », 18 mars 2025.

[13] C. com., art. L. 225-35. Adde Code AFEP-MEDEF, art. 5 ; Code Middlenext et ses recommandations RSE 2024 : https://www.middlenext.com/IMG/pdf/24_02_08_middlenext_recommandations_rse_2024.pdf.