
Par Lucile Roueff, , Hamara N’Diaye, Stella Bofale, écouter ici : https://radio.amicus-curiae.net/podcast/green-deal-lobbying/
Le Green deal européen, adopté en 2019, vise à faire de l’Union européenne le premier continent neutre en carbone d’ici 2050, à travers l’adoption de politiques dans des domaines variés. Mais au-delà de son ambition écologique, la mise en œuvre de ce plan fait l’objet de nombreuses critiques liées au lobbying, notamment celui exercé autour de son adoption.
En effet, la Commission est critiquée pour avoir mandaté des ONGs afin de promouvoir le Pacte vert auprès des Etats membres, en utilisant de plus des fonds publics pour financer l’opération. Bien que l’UE reconnaisse avoir recours au lobbying pour promouvoir ses projets, la discrétion de la communication autour du Green deal expose ici les institutions à des accusations de « lobbying fantôme » et de détournement de fonds, notamment de la part de députés conservateurs.
Selon une enquête du Point, le Bureau européen de l’environnement aurait perçu une subvention de 700 000 euros pour influencer le débat vers l’adoption de mesures plus écologiques, cependant une analyse contraire de Politico démontre qu’il n’existe aucune preuve que la Commission ait effectivement commandité une campagne de lobbying en son nom, les financements s’inscrivant plutôt dans le cadre d’appels à projets publics.
Cette affaire a remis en lumière les tensions autour du lobbying dans l’Union européenne, et la question de la transparence institutionnelle. La pratique est en effet réglementée depuis 2011, avec un registre de transparence rendu obligatoire en 2014, mais ce cadre est lacunaire, notamment concernant les agents de niveau inférieur, qui peuvent être approchés librement, et le contrôle des dépenses déclarées par les lobbies. Le lobbying est par ailleurs une pratique répandue dans la plupart des grandes politiques européennes, et le Green deal n’y fait pas exception, avec néanmoins la particularité de susciter une opposition idéologique très marquée entre ONGs environnementales et grandes industries. Ces dernières disposant de moyens bien supérieurs, elles parviennent souvent à peser sur l’orientation des politiques européennes face aux arguments environnementaux, ce qui mène fréquemment à l’adoption de compromis, comme avec la directive REACH en 2006.
Dans cette logique, et en dépit d’un lobbying environnemental particulièrement actif pour le Green deal, l’ambition des mesures proposées dans le cadre de cette stratégie a été relativisée : là où certains projets ont été adoptés (exemple avec l’interdiction des voitures thermiques en 2035), d’autres ont été édulcorés, voire abandonnés, sous la pression des lobbies industriels (comme pour les pesticides). L’évolution de la composition du Parlement européen, plus conservateur depuis les élections de 2024, a également joué un rôle dans ce ralentissement.
L’efficacité du lobbying vert est donc relative, ce qui a poussé les ONGs environnementales à modifier leur stratégie dans le contexte du Pacte vert. Face à la montée des partis d’extrême droite et des conservateurs, et alors que le programme de la Commission pour la période 2024-2029 se préoccupe désormais principalement de la compétitivité européenne, les lobbies intègrent cette vision dans leur défense des mesures écologiques, qui participeraient selon eux à l’autonomie communautaire et à la sécurité économique. L’adaptation du discours tenu, pour atténuer les oppositions, s’accompagne aussi de la recherche de nouveaux alliés inattendus, tels que les conservateurs, qui sont majoritaires, mais aussi les députés d’extrême droite, qui sont pourtant les principaux réfractaires. Bien que plusieurs ONGs ont déclaré rester ouvertes à de telles coopérations, notamment en se basant sur des problématiques locales pour défendre des mesures plus écologiques, les discours tenus par ces partis semblent tout de même laisser peu de doute quant à la faisabilité d’une telle alliance.
En définitive, et alors que la pratique du lobbying soulève, de manière générale, des questions sur la neutralité des institutions européennes, celui pratiqué en matière environnementale et en lien avec le Green deal semble élargir ces interrogations : ce « rebranding » stratégique des ONGs pour se conformer à la préoccupation de compétitivité, dans un contexte d’urgence climatique, pourrait ne plus être considéré comme véritablement écologique.
Ressources (bibliographie initiale) :
- https://www.contexte.com/fr/article/environnement/lobbying-en-milieu-hostile–les-defenseurs-de-lenvironnement-dans-la-jungle-du-nouveau-parlement_198290
- https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/294033-le-poids-du-lobbying-dans-lunion-europeenne-par-jean-comte
- https://commission.europa.eu/about/service-standards-and-principles/transparency/transparency-register_fr
- https://www.ecologie.gouv.fr/programme-europeen-financement-life
- https://www.lejdd.fr/Societe/scandale-du-green-deal-bruxelles-sous-le-feu-des-accusations-de-lobbying-et-dingerences-154247
pour aller plus loin :