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Les tensions entre la politique du Green deal et l’accord UE-Mercosur

Ines Aboulkasam Meryem Fayala Linda Ayeb Giulia Scalas

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Ines Aboulkasam, Meryem Fayala, Linda Ayeb et Giulia Scalas, étudiante en M1 droit européen, se sont penchées sur la confrontation entre les objectifs du Green Deal et l’accord de libre-échange mené avec les pays du Mercosur, qui a été signé en 2019 et renégocié en 2024, et qui prévoit la suppression quasi totale des droits de douane sur de nombreux produits agricoles et industriels.

Pour écouter l’épisode : https://radio.amicus-curiae.net/podcast/green-deal-le-mercosur/ 

Cet accord a en effet été nettement rejeté par le Parlement européen lors de sa première présentation, principalement pour des raisons environnementales (à savoir le manque de garanties quant aux risques de déforestation notamment), mais le débat a ressurgi sous l’influence de la présidence socialiste au Brésil, ce qui a suscité de vives oppositions de la part de plusieurs Etats européens et du monde agricole.

L’accord avec le Mercosur s’inscrit en effet toujours dans un contexte de tensions entre la politique commerciale et celle menée en matière environnementale, soulevant des interrogations quant à sa compatibilité avec les objectifs affichés dans le cadre du Green deal. D’un côté, on pourrait envisager que cet accord agisse comme un outil de la diplomatie verte européenne, en imposant des standards environnementaux plus stricts aux pays qui commercent avec l’Union, tout en diversifiant les partenariats économiques des Etats du Mercosur, qui dépendent fortement de la Chine, en instaurant une relation commerciale plus équitable socialement. 

L’accord permettrait également de stimuler l’économie européenne et l’innovation, ce qui bénéficierait à la transition écologique. A l’inverse, de nombreuses contradictions semblent empêcher cette lecture « verte » de l’accord de libre-échange : l’importation massive de produits sud-américains risque d’accroître la déforestation déjà importante, en Amazonie notamment, où des terres entières sont rasées pour établir de nouveaux élevages ou nourrir le bétail (y compris européen) avec la production de soja. La culture de canne à sucre pour produire du bioéthanol, qui fait l’objet d’une demande grandissante, aggrave cette dynamique. De plus, l’accord risque de confronter les agriculteurs européens au risque de subir une concurrence déloyale face à des produits importés moins réglementés et aux prix plus compétitifs, là où eux sont soumis à un encadrement plus strict dans le cadre du Green deal. Les consommateurs seraient aussi affectés, connaissant une distribution sur le marché de produits plus exposés aux OGM et pesticides, qui sont moins réglementés en Amérique latine.

Ce déséquilibre est accentuée par l’absence de clauses-miroirs et de sanctions en cas de non-respect des engagements écologiques, les recommandations n’étant pas contraignantes (contrairement aux dispositions commerciales). Au-delà de cette absence de garantie, l’accord prévoit en plus un mécanisme de rééquilibrage permettant à un Etat d’obtenir une compensation si une nouvelle réglementation nuit à ses intérêts économiques, ce qui pourrait être invoqué face à des dispositions pour la protection de l’environnement. 

En France, l’opposition à l’accord est particulièrement forte depuis 2019 pour des raisons à la fois environnementales et économiques avancées par le gouvernement et les agriculteurs, avec notamment une crainte particulière de concurrence déloyale pour ces derniers, qui se sont mobilisés à plusieurs reprises ces dernières années. Les quotas importants d’importations pour la viande sud-américaine, ajoutés à la non-réciprocité dans les normes sanitaires et environnementales (qui se répercute forcément sur le prix des produits importés, qui sont alors moins élevés), font en effet craindre une inondation du marché, le tout alors que le monde agricole est déjà précarisé et doit faire face à des démarches de plus en plus complexes et des restrictions plus strictes et coûteuses dans le cadre du Green deal. Malgré cette ferme et unanime opposition au niveau national, qui est partagée par d’autres Etats européens, la France peine à imposer sa position dans les institutions communautaires, ce qui s’explique par une baisse générale d’influence. Elle pourra cependant jouer un rôle dans le rejet (ou non) de l’accord, en constituant une minorité de blocage avec 3 autres Etats, le tout représentant au moins 35 % de la population européenne.

L’accord UE-Mercosur illustre donc le dilemme européen entre priorisation des intérêts économiques et commerciaux (donc aussi diplomatiques) ou préservation de l’environnement et de l’objectif de transition écologique.   

Ressources :

•      https://www.touteleurope.eu/economie-et-social/commerce-qu-est-ce-que-l-accord-de-libre-echange-entre-le-mercosur-et-l-union-europeenne/

•      https://france.representation.ec.europa.eu/informations/accord-commercial-ue-mercosur-distinguer-le-vrai-du-faux-2024-12-18_fr

•      https://www.leclubdesjuristes.com/international/accord-ue-mercosur-et-maintenant-8776/

•      https://france.representation.ec.europa.eu/informations/normes-europeennes-en-matiere-dagriculture-distinguer-le-vrai-du-faux-2024-05-16_fr

•      https://www.institutmontaigne.org/expressions/contrevoix-accord-ue-mercosur-la-france-est-elle-vraiment-perdante

•      https://www.cncd.be/Accord-UE-Mercosur-Le-libre

•      https://www.euractiv.fr/section/agriculture-food/news/les-difficultes-commerciales-mettent-lopposition-de-la-france-a-laccord-ue-mercosur-a-lepreuve/

•      https://reporterre.net/Accord-UE-Mercosur-5-points-pour-comprendre-la-colere-des-agriculteurs

•      Y. Petit, « Les enseignements de la colère agricole sans précédent du début de l’année 2024 », Europe, 2024/11, n°11, étude 8